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ont cru pouvoir appeler les moins spiritualistes du monde entier ? La nature humaine est la même partout, et quelque puissance qu’ait l’erreur, il vient pour les nations, comme pour les hommes isolés, une heure, marquée par la Providence, où elle s’efface et fait place à la vérité. Beaucoup des illusions qu’avaient éveillées les succès de Hung-tsew-tsuen se sont évanouies. Il est douteux que l’évêque protestant de Victoria fonde encore sur le chef rebelle les espérances qu’il laissait éclater à Shang-haï dans un discours demeuré célèbre ; mais pour n’être pas le triomphe du protestantisme, l’insurrection Taï-Ping n’en reste pas moins le symptôme irrécusable d’un changement profond dans les tendances des populations chinoises, une preuve évidente qu’elles cherchent à se dégager de ce matérialisme, de cette indifférence sceptique qui leur ont toujours été reprochés, peut-être trop légèrement d’ailleurs, par des écrivains qui jugeaient de tout l’empire d’après les populations d’une seule province, quelquefois même d’un seul district.

Toute révolution morale entraîne cependant une révolution politique. Après avoir attendu patiemment l’issue de la lutte, l’Angleterre et l’Europe avec elle, voyant qu’elle se prolongeait indéfiniment, durent se préoccuper des conséquences finales aussi bien que des résultats qui s’étaient déjà produits.

Au mois d’octobre 1856, l’insurrection chinoise occupait, autour de Nankin, l’ancienne capitale des Mings, la majeure partie des provinces de Hoope et de Hoonan, ainsi que du Kiang-si. Un ancien transfuge du parti des insurgés, Chang-kwo-liang, défendait contre eux Tanyang, forteresse située sur le Grand-Canal, clé du Kiang-si méridional, et protégeait par des prodiges d’audace la grande ville de Sodchow, que les bandes rebelles menaçaient d’ailleurs par des chemins détournés. Les forces impériales, sous les ordres du généralissime Iliang, étaient répandues en face de Nankin et de Chin-kiang-fu et à l’embouchure du Grand-Canal, sur la rive gauche du fleuve ; mais, sans discipline, composées de la lie de la population, mal payées, vivant sur un pays déjà dévasté, en proie à la plus complète anarchie, elles étaient incapables d’opposer une sérieuse résistance aux vieilles bandes rebelles, lorsque leurs chefs sortiraient enfin de l’inaction où ils semblaient être plongés. Après l’énergie et la volonté déployées par Hung-tsew-tsuen et ses lieutenans, cette inaction avait lieu de surprendre, et l’on en recherchait vainement la cause, lorsque le bruit, bientôt démenti, puis définitivement confirmé, arriva à Shang-haï du massacre du prince oriental et de plusieurs milliers de ses partisans par ordre du chef suprême. Cette nouvelle expliquait l’inaction des rebelles et révélait Hung-tsew-tsuen sous un nouveau jour, en même temps qu’elle montrait que l’insurrection entrait dans une nouvelle phase. Délivré en effet,