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non-seulement à l’Amour, mais au Songari et aux autres fleuves de la même région, on comprendra quelle prépondérance acquerrait le commerce russe dans ces pays, en Chine et au Japon, pour peu que ce commerce trouvât un entrepôt, non plus à l’embouchure de l’Amour ou à la baie de Castries, dans des parages fermés par les glaces pendant huit mois de l’année, mais soit à l’embouchure du Tumen, soit sur un point quelconque du littoral coréen.

Les intérêts privés sont plus prompts à s’émouvoir que les intérêts politiques des dangers que leur réserve l’avenir. Les commerçans anglais et américains de Shang-haï et de Hong-kong ont’ déjà ressenti les effets de la concurrence russe. Venus par les caravanes à travers les déserts de Chamo et les provinces septentrionales de l’empire, les draps russes ont conquis, par leurs qualités réelles et leur prix inférieur, la première place sur les marchés du Che-kiang et du Kiang-si. Les renseignemens qui nous ont été transmis par un lazariste venant des frontières du nord, rapprochés de la mesure récente, qui élève Kiachta au rang de ville provinciale, doivent nous faire croire que l’importance des relations de la Russie avec la Chine s’est considérablement accrue depuis 1843, époque à laquelle nous placent les derniers renseignemens officiels, qui évaluent à 104,150,000 fr. la valeur des affaires traitées alors entre les deux pays. Peu de voyageurs ont pénétré dans l’intérieur de la Mandchourie ; mais on aurait tort de supposer, avec la plupart des géographes modernes, qu’elle ne se compose que de vastes solitudes çà et là animées par la présence de hordes nomades errant à la recherche des pâturages nécessaires à leurs troupeaux. D’un autre côté, les livres chinois ne contiennent que des mensonges au sujet de ce pays, berceau de la dynastie impériale, y compris le fameux éloge de Moukden, composé par l’empereur Kien-loung. Après avoir parcouru et exploré toutes les côtes de cette immense province, nous avons été assez heureux pour compléter nos propres observations par celles d’un voyageur qui a traversé cette curieuse contrée dans sa plus grande étendue et dans des circonstances qu’il convient de rappeler brièvement.

Embarqué sur un baleinier français, les mauvais traitemens auxquels ce voyageur était en butte le poussèrent à déserter son navire à la baie Napoléon, un mois tout au plus avant notre arrivée. C’était pendant l’été, et la splendide nature de ces pays, la pureté de ce ciel qu’aucun nuage ne ternit en cette saison, lui cachèrent sans doute les fatigues et les dangers qu’il allait courir. Il s’enfonça hardiment dans l’intérieur, et ne tarda pas à rencontrer une troupe nombreuse de cavaliers campés sur les bords d’une petite rivière qui se jette au fond de la baie. Cette troupe se composait de Tartares venus