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abandonne ; elle n’a point de rigueurs matérielles, elle a l’indifférence, la raillerie, et même quelquefois elle se tourne contre ce qui l’intéressait la veille. C’est un tort sans doute, parce qu’enfin l’Académie a bien le droit de se tromper sans cesser d’être une institution littéraire éminente, comme aussi l’Académie, en personne sensée, n’ignore pas que tout ne serait point avantage dans une de ces situations d’isolement et d’abandon où elle resterait sans défense, parce que la faveur publique se serait refroidie.

Quelles que soient ces diversions de la vie de l’esprit, il y a un mot qui a été répété quelquefois depuis le jour où M. le duc de Broglie le rappelait à l’Académie et qui semble merveilleusement résumer le besoin intime encore plus peut-être que l’aspiration ostensible du temps présent : c’est le dernier mot d’ordre que l’empereur Sévère donnait avant de mourir : Laboremus, travaillons ! Pour les uns, c’est l’apprentissage de la vie, c’est la préparation de l’avenir et le gager d’une généreuse virilité ; pour les autres, c’est la continuation active d’une carrière déjà remplie d’œuvres, c’est la dignité dans la retraite, et pour ainsi dire le moyen de prolonger la jeunesse par la sève toujours renaissante de l’esprit et de la pensée. Ainsi fait M. Villemain en préparant des études nouvelles qu’il rassemble sous le titre de la Tribune moderne, et ces études, qui s’étendront successivement à d’autres personnages tels que M. de Serre, M. Royer-Collard, l’auteur les commence par Chateaubriand, non parce que Chateaubriand a été un orateur de tribune, mais parce qu’il a été l’un des plus éminens, le premier peut-être, parmi les hommes qui ont agi par la parole écrite ou parlée, parce que ce nom, venu à la gloire avec le siècle, se lie à tous les mouvemens de l’opinion. C’est une carrière qui commence en l’année des grandes nativités, selon le mot de l’écrivain, l’année où naissaient Napoléon, Cuvier, Wellington, et qui vient se clore en 1848 au bruit de l’effroyable bataille de juin, après s’être mêlée durant quatre-vingts ans aux plus mémorables événemens. Quel est le secret de M. Villemain pour rajeunir ce tableau et animer cette biographie déjà retracée par le héros lui-même ? M. Villemain se souvient, il raconte ce qu’il a vu et ce qu’il a connu, ajoutant plus d’un trait nouveau à tout ce qui a été dit ; il peint et il juge ; il montre l’enfant rêveur des grèves de Bretagne, le poète grondant et révolté sous le joug de l’empire, le publiciste retentissant de la restauration, le vieillard dégoûté et morose des derniers temps. Là est l’intérêt de ce livre conçu dans le dessein de caractériser encore une fois M. de Chateaubriand, sa vie, ses écrits, son influence littéraire et politique sur son temps.

Chateaubriand a été traité sévèrement, surtout depuis qu’il n’est plus là, depuis qu’il a disparu derrière le nuage épais de la mort, laissant ce dangereux et puissant testament des Mémoires d’Outre-Tombe, dont il avait de son vivant fait savourer la poésie sans dévoiler ce qu’il y cachait d’aiguillons. Il est vrai, Chateaubriand eut souvent d’impétueux mouvemens d’orgueil qui se traduisent en aveux singuliers ; il avait fini par pousser jusqu’à l’affectation le dédain, l’ennui des choses et des hommes de son temps. Comme politique, il ne mesura pas toujours les coups qu’il portait, et dans ses Mémoires il a une manière à lui de jeter sa fidélité à la face de la monarchie tombée en 1830. On peut lui reprocher tout cela : il ne reste pas moins un homme