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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/517

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d’une excessive faiblesse, perdraient du terrain plutôt qu’ils n’en gagneraient. Ce contre-temps rendait très incertaine l’époque à laquelle il nous serait permis de sortir du détroit. Cependant les maladies commençaient à sévir ; on craignait de manquer d’eau pour le voyage, et, malgré une chaleur accablante, on ne la distribuait qu’avec une extrême parcimonie. On avait bien trouvé une aiguade sur la côte ; mais cette aiguade était assez éloignée du mouillage, la brise était souvent très fraîche, et les chaloupes, une fois chargées, avaient toutes les peines du monde à revenir à bord. Je profitai un matin du départ de l’une de ces embarcations pour me rendre à terre. Quand nos pièces furent pleines d’eau la brise soufflait avec force. La marée, qui avait une direction opposée à celle du vent, rendait les lames plus creuses, et une embarcation surchargée comme l’était la nôtre courait grand risque de s’emplir. J’avais ouvert l’avis d’attendre le changement de marée pour opérer notre retour à bord. On ne tint aucun compte de mes observations, et nous nous éloignâmes de la côte. Bientôt les tangages de la chaloupe devinrent si violens, que l’eau embarquait de toutes parts. Nous allions certainement couler, si, oubliant mon rôle de passager, je ne me fusse décidé à donner l’ordre de défoncer les pièces, et si je n’eusse insisté pour qu’on se dirigeât sur le bâtiment le plus rapproché de nous. Cette résolution nous sauva. Nous arrivâmes le long du bâtiment sur lequel j’avais fait mettre le cap, plus d’à moitié pleins d’eau. Ce bâtiment, qui ressemblait fort au Dortwicht, s’appelait la Surseance. Le capitaine avait invité à dîner la majeure partie de l’état-major de la frégate l’Amazone. Il n’eut pas plus tôt appris l’arrivée d’un officier français à son bord, qu’il vint avec beaucoup d’empressement m’inviter à prendre part au repas qu’il donnait à ses compatriotes. J’acceptai sans hésitation, et on se mit immédiatement à table. On y passa la nuit à manger, à boire et à chanter. Les officiers de l’Amazone parlaient presque tous le français. Plusieurs d’entre eux se rappelaient avec plaisir le séjour qu’à diverses reprises ils avaient fait à Paris. Ils entremêlèrent de tant de toasts les airs de nos opéras-comiques, qu’avant la fin du dîner la plupart des convives avaient à peu près perdu la raison. Je ne m’étais jamais livré à de pareils excès, et j’avais heureusement dans l’état de ma santé une excuse suffisante pour persévérer dans mes habitudes de sobriété. Je n’en vis pas moins apparaître le jour avec une vive satisfaction. Le temps s’était embelli ; nous en profitâmes pour nous rendre à bord du Dortwickt. Je n’eus à prendre congé de personne. Officiers et matelots, tout le monde dormait à bord de la Surseance.

Les chaloupes de deux autres bâtimens du convoi se tirèrent