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signe de vie, il alla augmenter le nombre des morts. S’il eût pu à ce moment se rendre compte de sa position, quelles tristes réflexions n’eût-il pas faites en sentant le contact des corps déjà froids de ses compagnons étendus à ses côtés ! Par bonheur, il était seulement évanoui, et ne reprit connaissance que vers le soir. Le chirurgien s’aperçut alors qu’il respirait encore ; ses blessures, très graves, reçurent un premier pansement, et l’on put, deux jours après, espérer qu’elles ne seraient pas mortelles. Avis de son décès avait néanmoins été donné abord de son vaisseau ; son sac était vendu, et, d’après le rôle d’équipage, le brave Lamy avait cessé d’appartenir à ce bas monde.

Envoyé à l’hôpital de Péra, la convalescence du brave enfant de Calais fut longue et douloureuse, puis il obtint de rentrer en France, où il jouit d’un congé de plusieurs mois, pour rétablir sa santé si rudement éprouvée. L’empereur à son passage à Boulogne voulut reconnaître une si belle conduite, et lui remit la croix d’honneur. L’inaction ne tarda pas cependant à peser au jeune marin ; le canon de Sébastopol grondait toujours à son oreille. Lamy rentra donc à Cherbourg avec les galons de quartier-maître, et son premier soin fut de demander la faveur d’embarquer sur la Dévastation, où il devait continuer dignement une carrière si bien commencée.


III. — UN ABORDAGE. — LA NAVIGATION DANS L’ARCHIPEL ET LE BOSPHORE.

La terre ! mot féerique qui suspend tous les rêves, détourne toutes les attentions arrête les conversations ou les travaux. La terre ! vite une longue-vue, qu’on puisse la reconnaître ! C’est bien elle. Alger est devant nous, elle sort de l’eau, on dirait un fantôme d’azur. Il me semble que le pont de la Dévastation est plus vaste que tout à l’heure, l’espace est moins resserré, et je m’y promène plus à l’aise. Nous entrons au port ; la frégate s’éloigne de nous, emportant nos remorques. Nous sommes mouillés.

Je ne m’arrêterai point à décrire la capitale de notre belle colonie africaine. Cette population arabe et berbère circulant au milieu d’une ville devenue toute française, vivant déjà de nos mœurs sans avoir pu encore adopter notre costume, offre certainement un curieux spectacle ; mais le héros de cette histoire, je ne l’oublie pas, est le singulier bâtiment pour qui cette première campagne doit être une décisive épreuve. Je quitte donc Alger, ses palais, ses rues bâties en arcades, son jardin botanique, si vaste et si beau, pour retourner à bord de la Dévastation, qui se prépare à porter dignement son nom en exerçant le coup d’œil de ses canonniers sur un but mouillé dans la passe. Le bruit formidable de son artillerie résonne dans la