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mouvemens violens des passions extrêmes, les gestes fortement accusés, les scènes tumultueuses, à la beauté calme, à l’harmonie des lignes et des groupes, à l’expression des sentimens affectueux ; mais il aime et comprend les enfans. Est-ce parce qu’ils ont la grâce, la mobilité, la malice des petits animaux ? Tout en expliquant ainsi la préférence du peintre, on peut lui trouver, je le crois, une autre et plus sérieuse raison. Chez l’enfant, la forme humaine est encore vague, indéterminée ; elle permet certaines incorrections, certaines fantaisies de dessin qui choqueraient dans la figure de l’adulte. J’ai dit que les études professionnelles de M. Decamps avaient été incomplètes. Il y a peut-être dans sa réserve une prudence honnête et habile, une juste appréciation de ses forces que je ne veux pas blâmer. La figure humaine contient et résume toutes les beautés ; mais il faut être bien ignorant ou bien sûr de soi-même pour l’aborder franchement et sans hésitation. M. Decamps déteste l’à peu près, et avec la conscience qu’il met en tout, il ne se permettrait pas les escamotages que d’autres ne se font pas faute de pratiquer. Il préfère s’en tenir aux formes qu’il possède, aux expressions fortes et accusées, qu’il comprend et qu’il exprime facilement par des gestes, des attitudes, des physionomies à demi noyées dans le clair-obscur.

Il est une qualité, celle que je prise chez Rubens à l’égal de son incomparable couleur, — le mouvement, — qui se trouve au plus haut degré dans les tableaux de genre de M. Decamps. Qu’on se rappelle le Passage du Gué et la Ronde de Smyrne. La peinture exprime sans doute mieux, plus facilement et avec plus de liberté que la sculpture, l’action, le mouvement. Ces deux arts ont cependant des lois communes dont ils ne sauraient s’écarter. La scène doit être vivante : il faut que les personnages se meuvent, agissent, expriment, des émotions, des sentimens, des passions ; mais il faut en même temps que ces mouvemens s’accordent entre eux, que, tout en conservant leur vivacité et leur accent particulier, ils concourent à l’effet général, et ne nuisent ni à la perfection des lignes et des groupes ni à la beauté des attitudes et des expressions. L’harmonie dans le mouvement est une des plus grandes difficultés de la peinture. C’est le triomphe de Rubens, c’est aussi celui de Géricault.

Le Passage du Gué représente une troupe de cavaliers armés traversant une rivière. Sur le premier plan, les chevaux hésitent et se cabrent ; les cavaliers, fermes et droits sur leurs selles, les excitent et les soutiennent de la main et du talon. Hommes et bêtes sont parfaitement dans l’action. Au deuxième plan, les chevaux gravissent la berge ; les pieds de devant déjà sur la rive, ils s’écartent et font un dernier effort. Les cavaliers, bien en selle, semblent les alléger par un mouvement plein de justesse et d’intelligence. Cette composition est une des meilleures de M. Decamps. On peut reprocher