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et dont on s’est trop occupé, que M. Decamps est égal ou supérieur aux plus grands artistes contemporains. Il est créateur, mais les préoccupations mesquines, multiples, dissolvantes de son époque l’ont souvent détourné de sa voie, et c’est à l’étude du paysage qu’il doit d’être souvent parvenu à la compréhension de ce qu’il y a de plus élevé dans l’art. Les beautés calmes, simples, invariables de la nature se sont emparées de son esprit, et l’ont aidé à voir en lui-même les meilleurs côtés de son talent. On ne reste d’ailleurs dans la peinture de genre que lorsqu’on ne peut pas faire autrement : on y est retenu soit par des aptitudes particulières, soit par les exigences du public ; mais les esprits médiocres seuls peuvent s’y enfermer, les autres y sont mal à l’aise, et s’en échappent quand et comme ils peuvent.

Les paysages de M. Decamps sont innombrables, et je n’ai la prétention ni de les décrire ni même de les nommer ; je me borne à indiquer toutes ses études sérieuses, sincères, de Fontainebleau, d’Orient, du midi de la France, qu’il comprend, qu’il aime et regarde avec raison comme un des pays les plus beaux et les plus inconnus du monde. C’est à la Provence et à l’Italie qu’il doit quelques-uns de ses meilleurs paysages d’ordre moyen : la Villa Pamphili, plusieurs de ses fables reproduites à l’eau-forte par Marvy, la Grenouille et le Bœuf, le Héron, le Meunier, son Fils et l’Ane. Il a pris sur les côtes de l’Asie-Mineure et dans les îles de l’Archipel les sujets de ces marines qui ont tant de limpidité, de charme et d’éclat. Ces beaux ouvrages, déjà anciens pour la plupart, ont quelque chose de moins accentué et de moins magistral que ce que fait aujourd’hui M. Decamps, mais ils ont plus de grâce et d’élégante distinction. On y sent quelque influence de Bonington, et ils ne sont pas sans rapports avec les meilleurs tableaux de M. Roqueplan. C’est à ses paysages historiques que je préfère m’arrêter, parce que j’y trouve son talent dans toute sa force et avec toute son originalité.

Le Diogène est un dessin du plus grand style ; je ne crois pas qu’il ait jamais été peint. Cette composition, si émouvante dans sa simplicité, aurait cependant fait un admirable tableau ; mais il ne faut pas disputer sur ce point avec M. Decamps. Il applique quelquefois toutes les ressources de son habileté à des sujets d’une médiocre importance. Dans d’autres cas, il se sert du fusain, de l’aquarelle ou du pastel pour exprimer ses idées les plus sérieuses, les plus pathétiques, les plus élevées. Faut-il se plaindre de ces bizarreries ? L’artiste doit-il compte au public des moyens qu’il emploie pour l’émouvoir ou pour le charmer ? Je ne le pense pas. J’avoue cependant que je suis effrayé de voir M. Decamps employer, dans quelques-uns de ses meilleurs ouvrages, des procédés qui n’ont pas fait leurs