Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre de renoncer à son droit d’asile. Ce droit, M. de Persigny le reconnaît comme un des plus nobles et des plus précieux privilèges du peuple britannique. Il s’agit seulement de savoir si là où le refuge devient un moyen d’organiser des attentats, là où le crime commence, la législation anglaise est suffisamment armée. Au fond aucune demande ; précise ne semble avoir été jusqu’ici adressée au cabinet de Londres. Toute initiative est laissée à l’Angleterre. Ce n’est point sans dessein du reste que nous résumons rapidement ces questions et ces mesures qui se succèdent, naissant d’une même cause, d’une cause odieuse. Il est des momens où les paroles servent de peu, et où l’unique intérêt d’une situation se concentre dans les actes des gouvernemens eux-mêmes.

Les lettres ont cela d’heureux et de propice, qu’elles sont un refuge, et qu’en allant vers elles on échappe un moment aux tristesses des temps, sans cesser de s’occuper de l’homme, de ses destinées et de ses travaux. Quand l’Académie offre par intervalles une sérieuse et charmante hospitalité à tous ceux qui goûtent encore ces choses supérieures de l’esprit, quand elle a de ces séances recherchées qui attirent des sociétés choisies, elle ne fait que marquer justement cette distinction entre les troubles de la vie activer et la région plus tranquille des lettres. La politique ne se montre que sous la forme des souvenirs ou de l’histoire, ou bien encore sous cette forme des spéculations, désintéressées qui sont l’éternel et noble aliment des intelligences ! Comment la politique ne serait-elle pas présente à l’Institut, ne fût-ce que comme une ombre ? Ainsi qu’on le disait récemment on compterait presque les hommes d’état de la première partie de ce siècle qui n’ont pas eu leur place à l’Académie. Beaucoup ont été de grands écrivains. Raconter la vie de ces hommes à mesure qu’ils disparaissent, c’est se retrouver en présence de leurs idées, de leurs œuvres, de leurs actes, de leur époque tout entière. La fortune, académique a parfois d’ailleurs d’assez étranges caprices ; elle donne à un évêque la mission de prononcer l’oraison funèbre d’un traducteur de Virgile, et à son tour M. Émile Augier, entrant l’autre jour à l’Académie, avait à faire l’éloge de M. de Salvandy, tandis que par une autre coïncidence, M. Lebrun, qui avait reçu autrefois M. de Salvandy avait à recevoir encore aujourd’hui M. Augier lui-même. C’est là toute la dernière séance. Écrivain ingénieux et habile, M. Émile Augier a fait un heureux et rapide chemin. Il semble que son premier succès au théâtre soit d’hier, et il est aujourd’hui à l’Institut. Que raconte-t-il en effet lui-même dans son discours ? Il y a vingt ans à peine, les élèves d’un lycée de Paris étaient un jour rassemblés pour recevoir un ministre. Ce ministre, guidé par la mémoire du cœur, s’était souvenu que, trente ans auparavant pauvre et sans secours, il avait été accueilli par un homme excellent qui dirigeait le collège, et il venait payer sa dette à son vieux maître en instituant comme proviseur de ce même lycée le fils de celui qui l’avait aidé à s’élever. Parmi les écoliers qui se trouvaient ainsi rassemblés pour recevoir le grand-maître de l’université était M. Émile Augier, et le ministre était M. de Salvandy. Laissez s’écouler ces vingt années, le grand-maître de l’université de 1837 n’est plus, et c’est l’obscur écolier du lycée Henri IV qui va lui succéder. C’est peut-être le seul point de rapprochement entre ces deux existences.