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rade. La place tira quelques coups de canon inutiles : les boulets ne touchèrent pas nos bâtimens. Nos bombes au contraire firent voler plus d’une fois la terre des parapets. L’amiral mit fin ai ces essais, qui devaient bientôt porter leurs fruits.

Le 16, jour fixé pour le bombardement, il y eut contre-ordre, le vent et l’état de la mer ne permettant pas à l’escadre de prendre une position convenable. Les bombardes continuèrent l’exercice de la veille ; à leur feu se joignit celui des canonnières anglaises, qui allaient et venaient devant les forts. Ces canonnières, portant pour toute artillerie deux canons rayés lançaient leurs boulets cylindro-coniques à une distance prodigieuse. L’équipage des batteries flottantes resta spectateur de ce tir intéressant. Rien n’était plus curieux, à contempler que les courbes décrites par les bombes dans le demi-jour du crépuscule. Ces traînées lumineuses qui se croisaient en tous sens (car la place usa de ses mortiers) se brisaient parfois dans le ciel et vomissaient soudain une langue de flamme, immédiatement suivie d’une détonation. On eût dit un splendide feu d’artifice. L’amiral fit bientôt suspendre ce jeu, en réalité peu redoutable. Le commandant ennemi pensa que cet exercice avait pour but de l’intimider et de le forcer à demander une capitulation sans combat sérieux, capitulation à laquelle l’attitude de ses soldats ne lui eût pas permis de consentir, eût-elle été dans ses intentions. Il avait sans doute l’intime conviction qu’il nous tiendrait en échec assez longtemps pour nous lasser et nous faire reprendre le chemin de Kamiesh. Il ne croyait pas du reste que même nos bâtimens légers pussent venir s’embosser de manière à faire brèche dans des fortifications qu’il considérait comme très solides, et qui l’étaient en effet, quoique bien anciennes. Les précautions qu’il prenait, disait-il, en doublant d’épaisseur le revêtement des poudrières, lui étaient dictées par la plus simple prudence et non par la crainte des effets destructeurs de notre artillerie. Cette confiance devait être cruellement déçue.

Le vent étant complètement tombé, l’amiral Bruat rassembla à bord du Montebello les commandans des navires de flottille, et fixa irrévocablement pour le lendemain 17 octobre l’attaque de Kinburn. La dernière nuit qui nous séparait encore du moment de l’action ne se passa pas calme pour tout le monde : elle favorisa de ses ombres une excursion qui n’était pas sans périls et qui mérite d’être racontée.

J’avais vu préparer abord, dans la journée du 16, des bouées surmontées d’un guidon en étoffe rouge, mais je ne m’étais pas préoccupé de la destination qui leur était donnée, lorsque, le soir, le commandant de la Dévastation fit appeler un de ses officiers, M. de Raffin, enseigne de vaisseau. Il lui confia la mission d’aller, à la faveur