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les trois batteries flottantes, ayant seules parcouru la route d’Odessa à Kinburn, achèvent leur branle-bas de combat : les panneaux des bastingages sont mis à la mer, attachés sur des corps-morts, avec les canots dont on peut se passer ; l’artillerie est portée à tribord ; toutes les dispositions prescrites par le plan de combat développé la veille à leurs commandans par l’amiral sont prises dès le matin. Les troupes débarquent sans accident, et dans le plus grand ordre, à trois milles de la forteresse ; les chalands, remorqués par les canonnières, peuvent toucher une plage magnifique, recouverte d’un sable fin, sans qu’il soit utile de recourir aux embarcations. Aussitôt débarquée, l’armée établit des retranchemens pour empêcher que des secours arrivent aux commandans des forts. C’est le lendemain 15 octobre que commenceront les hostilités. L’ennemi n’a pas fait un mouvement depuis notre arrivée ; le pavillon russe flotte sur les casernes, et les sentinelles restent immobiles. On dirait que ces murailles sont abandonnées, et cependant derrière elles quinze cents hommes sont activement occupés à des travaux de défense : les projectiles s’élèvent en pyramides autour des pièces ; les poudrières sont prudemment garnies de roues, d’affûts de rechange en fer qu’on fait sortir en toute hâte des magasins. Sur ces roues, on ajoute un blindage entièrement composé de sacs de farine !

Pendant que la cavalerie pousse une reconnaissance dans la direction de Nicolaïef, l’armée, protégée au besoin par les canonnières, continue ses travaux. Des tranchées s’ouvrent de tous côtés. Le sol est moins dur qu’à Sébastopol : point de roc à miner, point de cailloux à remuer, partout du sable fin mêlé de coquillages ; c’est à peine si ce sable voit croître quelques rares touffes d’herbes. L’endroit choisi pour notre campement fut plus tard désigné par nous sous le nom de dunes, et devint pendant l’hiver un point l’observation pour les Cosaques. En partant des dunes, avant d’arriver à la forteresse, il faut traverser un village assez pauvre. Sauf deux ou trois maisons blanchies à la chaux et, couvertes de tuiles, les autres, petites et mal assises, étaient construites en galandage, comme la plupart des granges de nos campagnes. Le village comptait une soixantaine de maisons.

Vers trois heures de l’après-midi, les bombardes ; ayant reçu l’ordre d’essayer leur tir contre les fortifications, vinrent prendre poste le long de la presqu’île, à 2,000 mètres du fort principal ; mais à la première détonation des mortiers, et comme si ce fait eût été donné pour signal par le commandant russe à ses soldats, une fumée épaisse enveloppa le village, les flammes se firent jour de toutes parts, et un incendie violent, allumé avec l’adresse et la dextérité qui distinguent les Russes, éclaira durant toute une nuit les forts, les camps et la