en leur accordant une part dans sa défense, car d’autres hommes sont frappés à bord de la Dévastation et viennent se coucher sur le cadre. Si cela continue, le chirurgien ne restera pas oisif. Il y a cinquante minutes que nous combattons, et sept hommes déjà sont entre ses mains.
À onze heures, le feu est aussi vif de notre côté qu’au moment de l’embossage. Il n’en est pas de même de la forteresse : plusieurs de ses pièces sont démontées, les parapets sont minés par nos boulets, et la maçonnerie est gravement endommagée. L’ennemi tire toujours, mais plus lentement ; on voit qu’il a perdu une partie de ses moyens d’action. Cependant les artilleurs russes conservent dans leur pointage la même précision. De nombreux boulets ricochent presque à l’ouverture des sabords ; l’un des chargeurs demande un quatrième écouvillon : trois ont été cassés entre ses mains par les éclats du fer sans qu’il ait été touché ! Au tir à volonté la Dévastation fait succéder le tir par bordées, qui, joint au feu soutenu des deux autres batteries, ne tarde pas à faire dans une partie de la muraille une brèche immense. La clé de voûte de la porte sud-est est enlevée ; le cintre s’écroule avec fracas, entraînant dans sa chute les épaulemens, déjà rongés en plusieurs endroits.
Soudain, de notre côté, un craquement affreux couvre les bruits de la batterie, et deux hommes tombent pour ne plus se relever. Un boulet vient de pénétrer par un sabord du centre : après avoir tracé dans la pièce un sillon d’un centimètre de profondeur, il a décapité l’un des servans de gauche, broyé une épontille de 33 centimètres d’épaisseur, brisé en mille éclats le compas qui la surmontait, touché en plein bas-ventre un sergent d’infanterie de marine occupé au passage des projectiles, et s’est enfin réfugié dans la muraille en chêne du bâtiment, où il ne s’est arrêté qu’au blindage. Cette muraille a en cet endroit 60 centimètres d’épaisseur.
Le poste des blessés reçoit les deux cadavres mutilés : l’un, celui du servant de gauche, est dans un horrible état ; son corps sans tête, n’est plus qu’un amas de sang coagulé, l’épine dorsale est dépouillée, l’os du bras gauche est complètement à nu ; l’autre, celui du malheureux sergent, forme trois morceaux, retenus seulement par le pantalon d’uniforme ; les deux jambes ont été détachées. La mort a dû être prompte comme là foudre, car la figure est restée souriante.
Ce triste événement marque la fin du combat. La forteresse ne peut résister aux effets de notre artillerie ; à demi écroulée, n’ayant plus que quelques pièces en état de servir, elle arbore le pavillon blanc. Devant ce signal pacifique, si souvent déployé par les nations belligérantes, le canon cesse de gronder. Un calme étrange succède