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Pendant que nous poursuivions activement nos travaux de défense, la garnison russe d’Otchakof menait une vie assez triste, à en juger par le récit d’un jeune milicien qui, pour fuir un châtiment, s’était sauvé, le 10 décembre, à l’aide de l’une de ces embarcations nommées plates, confiant, sans hésiter, sa vie aux caprices des courans, qui eussent pu, si le vent avait changé, l’entraîner à plusieurs lieues dans la Mer-Noire. Ce malheureux n’avait ni rames ni voiles, et ne pouvait espérer aucun secours, surtout la nuit ; heureusement le sort voulut qu’il vînt précisément échouer sur la pointe de sable où un soldat d’infanterie de marine en sentinelle le remit entre les mains de ses supérieurs. Son interrogatoire confirma ce que nous savions déjà sur l’armement d’Otchakof, et ne nous apprit rien autre chose que la délivrance à l’armée russe de chaussures d’hiver ferrées à glace.

Cette précaution était fort sage après tout, car l’hiver commençait à se faire vivement sentir. Nous avions la nuit des froids de 5 degrés, et le courant du Dniéper et du Bug charriait des glaces. Ces glaces, de 2 centimètres d’épaisseur, devaient venir de très loin ; elles descendaient en tournoyant sur elles-mêmes, se minaient par le frottement, et formaient des assiettes d’une circonférence très régulière et toutes de la même grandeur. Vers la fin de novembre, il en vint tant que l’entrée du liman en fut complètement obstruée ; elles glissèrent les unes sur les autres, couvrirent peu à peu la surface