Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était résulté l’engourdissement profond des sentimens qui nous sont les plus naturels. Sa fortune nous tint longtemps lieu de patriotisme ; mais comme il avait absorbé toute la nation en lui, avec lui la nation tomba tout entière, et dans notre chute nous ne sûmes plus être devant nos ennemis que ce qu’il nous avait faits lui-même. » L’aveu est bon à recueillir sous plus d’un rapport, d’abord parce qu’il explique judicieusement les dangers que le pouvoir absolu fait courir non-seulement à la nation, mais au souverain, ensuite parce qu’il constate une fois de plus quel était l’état du sentiment public en 1814, et dans quelles dispositions la première restauration trouva la France. Béranger, qui n’aime pas plus la première restauration que la seconde, admet cependant qu’il y eut une grande différence dans la manière dont le sentiment public accueillit ces deux résurrections de l’ancienne monarchie. Adversaire de la restauration, il est d’accord avec ses partisans et ses juges impartiaux, d’accord avec les témoignages de l’histoire et les mille souvenirs des contemporains, que chacun de nous a pu recueillir. Seulement, ce que tout le monde appelle lassitude nationale, Béranger l’appelle léthargie nationale ; il n’y a que les noms de changés.

Béranger explique pourquoi la restauration l’a trouvé hostile dès le début ; mais comme nous n’avons nulle intention de discuter avec lui la différence qu’il établit entre la politique cosmopolite et la politique nationale, et l’application qu’il en fait aux événemens de 1814 et de 1815, nous préférons abandonner ce terrain dangereux. Dans une précédente étude, nous avons avancé que Béranger avait été le plus irréconciliable ennemi de la monarchie des Bourbons ; la lecture de sa Biographie a pleinement confirmé notre jugement. Béranger ne haïssait pas la restauration parce qu’elle était illibérale, mais parce qu’elle était la restauration ; il haïssait les Bourbons, non parce qu’ils étaient rétrogrades, mais parce qu’ils étaient Bourbons. Il ne voulait à aucun prix de la restauration, même libérale. Ainsi il revient encore, dans cette biographie, sur le ministère de M. de Martigriac et sur cette fameuse tentative de fusion entre une partie de la gauche libérale et le centre conservateur, et il en parle comme par le passé, avec malveillance et amertume ; mais c’est surtout dans ses jugemens sur les membres de la famille des Bourbons que cette haine opiniâtre1 et instinctive se laisse le mieux apercevoir. « La seule personne, dit-il, qu’alors (1814) on désirât vraiment de toute cette famille était la duchesse d’Angoulême… Hélas ! rien dans sa figure, dans son air, dans le son de sa voix, ne répondit à nos espérances. » Suit une longue page pleine de mots cruels que ne parviennent pas à faire passer quelques expressions de respect. Béranger reproche à la duchesse d’Angoulême de n’avoir pas su conquérir les