sympathies de la France ; mais vraiment comment un homme aussi sensé peut-il, à la suite de tous les démocrates de boutique, adresser un tel reproche à la malheureuse princesse ? On connaît l’histoire de la duchesse d’Angoulême, sa vie, qui ne fut qu’une longue infortune ; l’âme avait été blessée de bonne heure, et s’était fermée de bonne heure aussi. Il y avait en elle de la sécheresse, personne ne veut le nier mais en vérité Béranger demande trop à la nature humaine, quand il demande à la duchesse d’Angoulême des larmes pour les malheurs de la France, et de la pitié pour les infortunes des proscrits. Des larmes ! elle avait usé toutes les siennes à pleurer ses propres malheurs. On a dit que Mme la duchesse d’Angoulême n’aimait pas les Français : je ne sais jusqu’à quel point on a eu le droit d’avancer une telle accusation ; mais ce sentiment eût-il existé chez elle, il serait à la fois inepte et lâche de lui en faire un crime. Franchement il serait peu raisonnable de reprocher à la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, à la sœur de Louis XVII, de ne pas avoir eu une affection démesurée pour ceux qui la firent si cruellement souffrir. Les pages que Béranger a consacrées à la duchesse d’Angoulême sont donc à la fois peu loyales et peu judicieuses. Je n’oserais en dire autant du jugement porté sur Louis XVIII, qui est très dur, mais que je crois en partie mérité. « Cet homme, dit-il, avait le cœur faux et méchant ; il est le seul des Bourbons que nous avons connus qui ait mérité cette accusation. Charles X, à part ses entêtemens politiques et religieux qui l’ont perdu, et qui eussent pu nous devenir funestes, a laissé en France la réputation d’un homme facile et bon, digne d’avoir des amis, comme en effet il en eut plusieurs qui lui restèrent attachés. Son frère n’eut que des favoris. » Nous ferons sur ces paroles une courte observation : ce jugement s’applique à Louis XVIII homme privé, et non à Louis XVIII roi. Il est possible qu’il eût le cœur faux et méchant, et que le bon vieux roi Charles X lui fût très supérieur comme homme ; mais Louis XVIII sut régner et gouverner, et c’est une qualité assez importante pour que Béranger en tînt compte et ne la passât pas sous silence. Il nous montre le revers de la médaille ; pourquoi ne pas nous en montrer aussi la face ?
Béranger ne cache pas son admiration pour Napoléon. Il a applaudi au 18 brumaire, il a voté pour le consulat à vie ; sous l’empire, s’il n’a pas admis les institutions, il n’a cessé d’admirer l’homme et même il n’a cessé d’applaudir à sa fortune. Lorsqu’est venue l’heure des revers, il en a ressenti de la colère et du dépit, Il a vu avec douleur la première restauration, et son amour pour l’empereur va si loin, qu’obligé de constater la froideur du sentiment public en 1814, il déclare que l’empereur fut seul patriote en cet instant suprême. Cependant Béranger cache tant qu’il peut cet amour, de peur