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effet très incomplets, très inachevés au classique Marie-Joseph, mauvais juge en matière aussi délicate, et dont le propos assez vague rapporté par Béranger ne prouve rien du tout. M. de Latouche avait, il est vrai, la rage du pastiche et de la supercherie littéraire ; mais il n’était pas homme à laisser à un autre la gloire qu’il pouvait retirer de ses propres compositions, et il était bien plus disposé à confisquer à son profit, quand il le pouvait, les idées et le talent d’autrui. On sait d’ailleurs ce dont était capable l’auteur de Fragoletta ; nous ignorons si les derniers vers attribués à Chénier sont bien réellement de M. Henri de Latouche, mais ce dont on peut être sûr, c’est que cet homme d’esprit n’a jamais été capable de produire le Jeune Malade, l’Aveugle ou l’admirable fragment intitulé Néère.

Cette Biographie n’apprendra donc rien de nouveau sur Béranger homme politique et sur les événemens auxquels il a été mêlé ; mais elle contribuera, je l’espère, à dissiper quelques illusions persistantes. S’il est encore quelques personnes qui voient en lui un républicain, qui lui prêtent des préférences politiques, et qui le regardent comme un défenseur de la liberté, qu’ils prennent et lisent Ma Biographie : ils sortiront de cette lecture convaincus, comme nous le sommes, que tout est égal au chansonnier, sauf l’égalité. Oui, tout lui est égal, même les rois nouveaux, et s’il paraît républicain, c’est tout simplement par sa haine contre les rois anciens. Il y a certains rois dont il ne veut pas, voilà ce qui l’autorise à se dire républicain ; il y en a certains autres dont il s’accommoderait parfaitement, et voilà ce qui doit lui interdire de prendre ce titre de républicain devant la postérité. Quant à nous, quel que soit le jugement que le public porte à l’avenir sur Béranger, soit qu’il adopte ses idées politiques, soit qu’il les repousse, nous sommes heureux que le poète lui-même se soit chargé de démontrer cette vérité embarrassante, et dont beaucoup de gens ne veulent pas convenir : c’est qu’un démocrate n’est pas nécessairement doublé d’un libéral.


EMILE MONTEGUT.