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parvenu imbécile, vaniteux et compromettant, peut être utile à Philippe Huguet : qu’il soit le bienvenu. Un sot compromet sa fille, elle saura éviter tout éclat, et même faire tourner cette impertinence au profit de ceux qu’elle aime. Voilà Mme Huguet, personnage très vrai, très original ; c’est une bourgeoise instruite par les longues leçons de la misère discrètement supportée.

La jeunesse est le printemps de la vie, disaient nos pères, alors que la nature et le cœur humain n’avaient pas embrouillé l’ordre de leurs saisons. Cependant Philippe Huguet préférerait aux lourdes pluies dont ce printemps est noyé l’hiver le plus hyperboréen. Sa jeunesse est à la fois pour lui un fardeau et un obstacle. Il sent bien qu’il a tort d’être jeune, mais qu’y faire ? c’est un tort dont on ne se corrige qu’avec le temps, et le temps marche si lentement. Il est en son pouvoir d’ailleurs de se vieillir prématurément ; qui l’empêche d’avoir à vingt-cinq ans les pensées et les sentimens d’un homme vieilli dans l’intrigue et blasé par l’habitude de la bassesse ? Il est las d’attendre une occasion qui ne se présentera peut-être jamais : c’est à lui maintenant de provoquer l’occasion, et pour cela aucun moyen ne lui coûtera. Il sera lâche, servile ; plutôt le déshonneur que la médiocrité et l’obscurité ! Oh ! comme sa mère sera fière de lui, et avec quelle satisfaction elle serrera dans ses bras ce cher fils, qui aura enfin ouvert l’oreille à ses leçons ! Oui, Mme Huguet a raison ; la délicatesse est un embarras, et la fierté une gêne. Eh bien ! qu’elle reçoive à son aise, malgré ses antécédens scandaleux, la femme de l’avoué Joulin, qui sera reconnaissant à la famille de cette lâcheté, tandis que lui, Philippe, accablera de caresses serviles le compromettant Mamignon, qui peut lui accorder sa protection auprès d’une puissante compagnie de chemin de fer. Il est las d’errer dans la salle des Pas-Perdus, attendant le procès imaginaire qui doit le tirer honnêtement de l’obscurité. D’ailleurs il n’a pas le temps d’attendre, il aime sa cousine Cyprienne, jeune orpheline élevée dans la maison, et qui a grandi près de lui. La dot de Cyprienne est mince, sa fortune à lui est modeste : il faut donc qu’il fasse fortune au plus vite. Ce singulier logicien, qui voudrait supprimer le temps pour arriver plus tôt, consent néanmoins à remettre son bonheur à une échéance indéterminée.

Cependant, malgré tous ses sophismes et quoiqu’il travaille de son mieux à se dessécher l’âme et le cœur, Philippe est faible et se laissera séduire, s’il n’y prend garde. Il est en lutte avec deux adversaires redoutables, sa mère et sa jeunesse. Qui des deux l’emportera ? La jeunesse, — lui disent à l’envi sa sœur Mathilde et son beau-frère Hubert, qui représentent dans cette pièce les sentimens honnêtes, et qui font en quelque sorte l’office du chœur antique,