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chargé de décerner aux acteurs du drame ; la louange et le blâme ; mais la mère fait bonne garde, et éteint d’une main prudente et discrète ce feu de la jeunesse qui jette encore de loin en loin de si beaux jets de flamme. Quand Philippe sera disposé à faire quelque généreuse imprudence, elle sera là pour le préserver contre son cœur et le détourner du danger. La digne femme et la bonne mère ! Il faut la voir lorsque Philippe, dans un mouvement de bouillante indignation, parle d’aller souffleter l’imbécile Mamignon, qui a osé faire à sa sœur l’aveu de son ridicule amour, et lorsque son gendre Hubert vient demander au Lovelace suranné l’explication d’un certain billet déposé dans le manchon de sa femme. Avec quelle douceur elle fait comprendre à Philippe que les folies d’un sot ne peuvent déshonorer, et ne sont jamais que ridicules ! Avec quelle habileté elle profite de la lâcheté de Mamignon, terrifié par la colère d’Hubert, pour lui faire avouer que le billet était destiné à Cyprienne, et non à Mathilde ! Dès longtemps habituée à exploiter les plus petites circonstances, elle a l’adresse de tirer de cet incident désagréable un double profit : en même temps qu’elle évite un éclat fâcheux et conserve à son fils un protecteur utile, elle donne à sa nièce un mari millionnaire. Peut-on mieux se tirer d’un mauvais pas, et n’est-il pas clair qu’on peut se passer de franchise et déloyauté, lorsque la ruse et la duplicité réussissent si bien ? Qui pourrait en vouloir à Mme Huguet ? N’est-ce pas par amour pour les siens qu’elle descend à de telles bassesses ? Ce mot de bassesses n’est-il pas d’ailleurs trop fort ? Mme Huguet connaît l’art des nuances ; pour arriver à son but, une hypocrisie légère et quelques restrictions mentales lui ont suffi ; elle a feint de croire à un malentendu, et voilà tout. Entre les mains d’un auteur malhabile, Mme Huguet pouvait devenir aisément odieuse ; M. Augier a saisi et rendu avec une dextérité qu’on ne saurait trop louer les détails délicats de ce caractère, composé de ressorts infiniment compliqués et flexibles. Une nuance de plus, Mme Huguet serait une intrigante ; telle qu’elle se présente, c’est une honnête femme dont les sentimens valent mieux que les actes. Pour peser sa conduite, pour l’absoudre ou la condamner, il faudrait la subtilité d’un jésuite.

Parmi les souffrances du jeune homme pauvre, il en est une, la plus dure de toutes, qui a été bien saisie par M. Augier, et qui lui a fourni une des scènes les plus poignantes de son drame. Cette souffrance, c’est l’absence de sécurité morale. Le jeune homme pauvre ne peut s’abandonner à ses affections, ni goûter sans préoccupation le bonheur qui se présente à lui. Lorsqu’il se laisse aller à la joie, il n’est pas certain que la minute qui va suivre ne fera pas succéder une émotion douloureuse à celle qui maintenant remplit