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qui avaient su le mieux mériter ces sentimens furent les premiers en mesure de réorganiser leur exploitation. Après s’être largement livrés à une manie de déplacement qui dégénérait souvent en vagabondage et tombait alors sous le coup de dispositions pénales judicieusement combinées, les noirs finirent par se sentir attirés vers les localités où ils avaient d’abord vécu. Ce mouvement de reconstitution se continue, il se fortifie de jour en jour, et il est en ce moment des domaines dont l’atelier est presque exclusivement composé de leurs anciens esclaves.

Une seconde observation qui appelle l’attention la plus sérieuse, c’est qu’au dire des hommes les plus compétens, cette réorganisation du travail africain libre a dit maintenant à peu près son dernier mot ; elle a donné tout ce qu’on peut raisonnablement en attendre. Livrée aux seules forces de sa vitalité, elle ne pourra guère que décroître, et la production générale ne saurait y trouver que des ressources insuffisantes. Il y a antagonisme entre la culture parcellaire et la grande exploitation du sol : le noir veut vivre chez lui. Cette tendance peut être regrettable sous bien des rapports ; mais malgré l’exemple donné par l’Angleterre, ou plutôt à cause de cet exemple, nous ne croyons pas qu’on ait le droit d’y faire systématiquement obstacle. N’est-il pas légitime que l’Africain, aujourd’hui journalier, songe, en accumulant son épargne, à devenir acquéreur d’un morceau de cette terre féconde dont la possession lui semble le véritable complément de la liberté ? Cette aspiration n’est elle pas celle du paysan de nos campagnes, et ne savons-nous pas à quelles dures privations il se soumet pour y satisfaire ? L’instruction primaire elle-même, l’instruction donnée par l’état aux jeunes générations, tend à produire un effet analogue, en ce qu’une fois munis de quelques notions élémentaires, les adolescens désertent volontiers le rude labeur agricole pour les métiers de la ville. Demandera-t-on pour cela que le gouvernement ferme systématiquement ses écoles ? On peut désirer que l’avènement du noir à la propriété ne se fasse qu’à de sérieuses conditions, qu’elle ne soit pas l’occupation éphémère des terres vagues de l’état ou des particuliers ; on peut désirer qu’à l’exemple des tentatives faites dans la métropole, où le mal s’est également révélé, l’instruction primaire aux colonies devienne une éducation qui façonne les jeunes esprits à comprendre et à honorer le travail de la terre ; mais on ne peut aller au-delà. La liberté est la liberté, et le régime qu’elle prescrit est incompatible avec l’apprentissage anglais, la plus déplorable de toutes les combinaisons mixtes qui aient jamais été tentées.

Le caractère de cette situation n’a pu échapper à l’examen de l’administration chargée de veiller aux intérêts de nos colonies. —