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quelle M. Frédéric Hebbel a composé ses drames; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il faudrait aujourd’hui pour un tel poète un public d’initiés. L’auteur d’Agnès Bernauer avait fait espérer un instant qu’il s’était converti à une poétique plus naturelle; il est retombé bientôt et plus profondément que jamais dans le système des mythes et des symboles. Son dernier drame, l’Anneau de Gygès, aurait besoin de ce que les érudits appellent un commentarius perpetuus.

Voilà le résumé des théories et des expériences dramatiques qui se sont succédé en Allemagne depuis la mort de Schiller. J’ai indiqué seulement les principaux épisodes de cette histoire; je n’ai nommé ni Platen, ni Christian Grabbe, ni M. Grillparzer, ni M. Henri Laube, ni M. Gustave Freytag; je n’ai cité ni la Colombe d’Amsterdam de M. Hermann Margraff, ni le Démétrius de M. Bodenstedt, m’attachant surtout aux écrivains qui ont affiché l’ambition de restaurer la scène allemande. Que penser de cette restauration, quand on voit les poètes qui la tentent aller se perdre tour à tour dans les subtilités et les rêveries? C’est là un signe qui ne promet rien de bon. Et cependant, malgré l’insouciance de la foule, l’Allemagne lettrée continue à chercher son poète dramatique. Il y a des journaux fondés tout exprès pour discuter les choses du théâtre; il y a des professeurs d’esthétique dont la principale occupation est de préparer une forme de l’art supérieure à celle que Shakspeare et Calderon, Corneille et Racine, Goethe et Schiller ont illustrée. Cherchons avec l’Allemagne ce poète tant attendu. Nous sommes curieux de savoir si quelque nouvelle théorie ne s’est pas produite dans ce pays des théories à outrance et de l’esthétique transcendantale.

Non, il n’y a pas en ce moment de théorie nouvelle; après l’invention du drame de l’avenir, il a bien fallu s’arrêter. Le spectacle que présente aujourd’hui la littérature dramatique de l’Allemagne, c’est celui d’une sorte d’éclectisme où les divers systèmes que je viens d’énumérer sont en jeu simultanément. Goethe a ses imitateurs, Schiller a ses disciples. A côté des poètes qui s’inspirent des proclamations de Guillaume Schlegel, il y a ceux qui ne cherchent partout que des symboles; en face des poètes du présent, il y a les poètes de l’avenir. De ces écrivains, lequel a le mieux réussi? J’en choisis quatre qui représentent assez bien la situation actuelle du théâtre, et peut-être la comparaison que je veux faire fournira-t-elle quelques indications utiles à ceux qui ne cherchent pas les singularités, mais ont voué à l’art un amour sérieux.

Le plus grand succès dramatique de ces dernières années, c’est une tragédie, le Gladiateur de Ravenne, représentée pour la première fois à Vienne le 18 octobre 1854. L’auteur est M. de Münch-Bellinghausen, qui, sous le pseudonyme de Frédéric Halm, a donné