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ÉTUDES D’HISTOIRE PRIMITIVE.

logies la série paléontologique et la série zoologique, l’idée vient que l’ordre linéaire est l’ordre idéal et celui qui aurait prévalu si l’intercurrence de perturbations extérieures n’avait pas dérangé l’évolution propre de la vie. L’ellipse, à laquelle on rapporte le mouvement des planètes dans notre système solaire, n’a rien de réel ; il n’y a pas une seule planète qui se meuve dans une courbe parfaitement elliptique ; toutes sont déviées de leur course par les attractions réciproques qu’elles exercent les unes sur les autres. Mais ici la grande simplicité de ce cas mathématique a permis de reconnaître que l’ellipse était bien en effet le mouvement vrai, et que si, par exemple, il n’y avait eu dans l’espace que le soleil et la terre, celle-ci décrirait une ellipse régulière, tandis que, dans le domaine de la vie, l’infinie complication ne permet pas à notre intelligence trop faible de dégager l’évolution idéale telle qu’elle se comporterait, indépendamment des actions perturbatrices. Aussi la série paléontologique et la série zoologique ne doivent être considérées que comme des artifices logiques, très légitimes d’ailleurs, qui ont la double vertu de diriger les recherches et d’assurer l’esprit.

Ce fut le rêve de la poésie primitive de pénétrer par quelqu’une des cavernes béantes dans les espaces souterrains et d’y évoquer des formes étranges et monstrueuses qui devaient, avec les morts, occuper les ténèbres des abîmes. Ce rêve de la poésie, la science lui a donné la réalité ; cette descente vers les choses couvertes sous une terre profonde et une ombre obscure (res alta terra et caligine mersas), la science l’a effectuée. Si, au moment de s’engager dans ces voies dont on peut dire, aussi justement que le poète, qu’elles n’avaient jamais été foulées par un pied humain, elle eût annoncé que ce qu’elle allait trouver viendrait se ranger dans les cadres qu’elle avait tracés et se conformerait à la doctrine générale qu’elle avait édifiée, on aurait certainement pensé qu’elle tenait un langage téméraire, qu’elle donnait pour des vérités ce qui n’était que des hypothèses. Pourtant elle n’eût rien annoncé qu’elle n’ait tenu. En vain un nombre prodigieux de siècles nous sépare de tous ces mondes effacés, en vain les terrains s’entassent sur les terrains, en vain les conditions d’une surface si souvent renouvelée subissent de graves modifications, tout est nouveau sans doute, mais rien n’est hétérogène. En aucun cas, ce qui choquait l’ami des Pisons, l’aimable et judicieux Horace, jamais une femme belle en haut ne se termine par une queue de poisson (Desinat in piscem mulier formosa superne). Les mêmes lois biologiques sont observées dans ces végétaux et animaux fossiles comme dans ceux de nos jours ; ce qui est incompatible s’exclut alors comme aujourd’hui, et alors comme aujourd’hui ce qui est congénère s’attire et se rejoint. Les fougères peuvent devenir de grands arbres, mais ce sont des fougères ; les lézards