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peuvent prendre des ailes et voler, mais ce sont des lézards ; les paresseux et les tatous peuvent devenir gros comme des éléphans, mais ce sont des paresseux et des tatous. Le fil qui conduit est un guide sûr : organisation, texture, relations, fonctions, tout se tient. Rien autre que des plantes monocotylédones ou dicotylédones n’a été offert par ces antiques végétaux, et dans les animaux rien de supérieur aux vertébrés, d’inférieur aux invertébrés, n’a été rencontré. Jamais la réalité de la science ne s’est mieux démontrée qu’en s’appliquant ainsi sans effort à des cas pour lesquels elle n’avait jamais été faite et qu’elle ne soupçonnait pas. Et réciproquement, en présence de cette régularité qu’on peut appeler rétrospective, il faut concevoir que la vie est une force spéciale qui a ses conditions immanentes, comme la gravitation ou la chaleur ont les leurs, qui est profondément modifiée dans ses manifestations par l’influence des milieux, mais qui n’en conserve pas moins, dans les circonstances les plus disparates, son autonomie et ses modes fondamentaux.


IV.


Quelque loin que l’homme ait poussé sa civilisation et doive la pousser encore, les commencemens en sont nés parce qu’il a su se faire des outils et par là agrandir sa force, qui est petite, et qui, grâce aux instrumens, croît sans cesse et devient illimitée. Cette capacité lui est inhérente, et il n’est aucun pays, aucun temps où il en paraisse privé, si bien qu’elle appartient même aux hommes et aux âges diluviens et qu’elle a fourni à M. Boucher de Perthes des témoignages d’une industrie primitive. Si l’homme n’augmentait pas sa force matérielle et intellectuelle, il pourrait bien peu de chose sur la nature, et son enfance serait perpétuelle, stagnation, arrêt, immobilité qu’on observe chez les races ou les peuples qui, à un moment donné de leur histoire, cessent d’accroître leurs ressources en ce genre. C’est d’abord la force matérielle qui se développe : la hache, le coin, l’arc, la pirogue pourvoient aux plus pressans besoins de l’existence. À l’aide de ces premiers outils croît à son tour la force intellectuelle, qui bientôt paie avec usure la protection accordée. Un échange incessant s’établit de l’une à l’autre : le savoir donne des outils, les outils donnent du savoir. Que n’ont pas produit les microscopes et les télescopes ! Il n’est pas possible de se représenter l’homme assez absorbé en soi-même pour n’avoir pas songé à se munir de quelques outils ; une pareille supposition le réduirait aussitôt au rôle des grands singes et des mammifères supérieurs ; comme eux, les nécessités de la vie l’occuperaient tout entier. Mais il se procure le temps de méditer, et partant l’em-