Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vait y réunir le consistoire des cardinaux, et il se proposait de célébrer avec éclat[1] une victoire si profitable au saint-siège et qu’il croyait capable d’assurer la délivrance de la Lombardie. Sa maladie, subitement aggravée, l’en empêcha ; elle devint en peu de jours mortelle et l’enleva le 1er  décembre à huit heures du soir[2], sans qu’il reçût les derniers sacremens. Il n’avait, assure-t-on, auprès de lui que le moine mendiant Mariano, l’un des bouffons qu’il admettait à sa table, où ce pontife, d’un esprit d’ailleurs si fin et d’un goût à tant d’égards délicat, prenait plaisir à voir leur monstrueuse gloutonnerie et à entendre leurs facéties grossières. Fra Mariano, qui assistait seul à son agonie, lui dit lorsqu’il était sur le point d’expirer : « Saint père, recommandez-vous à Dieu[3]. » La vie de Léon X n’avait pas été celle d’un pape, sa mort soudaine ne put pas être celle d’un chrétien.

Malgré ce qu’il y avait eu en lui de grand et d’aimable, et quoiqu’il eût tant fait pour l’indépendance de l’Italie, l’accroissement du saint-siège et la splendeur de Rome, il n’inspira ni beaucoup d’admiration ni suffisamment de regret. « Il n’est pas mort de pape, écrivait-on de Rome, qui ait laissé une pire réputation depuis qu’existe l’église de Dieu[4]. » Un jugement aussi outré tenait à ses mœurs peu pontificales, à sa fin, qui n’avait rien eu de religieux, à ses onéreuses prodigalités, qui avaient épuisé le trésor apostolique et surchargé l’état d’une énorme dette[5]. Mais si dans Léon X le pontife n’avait pas été toujours édifiant, le prince s’était montré habile, et le protecteur des lettres comme des arts devait rester à jamais glorieux. Sa mémoire, un moment abaissée, allait se relever sous son successeur. Du choix de ce successeur dépendait, par la continuation ou par la rupture de la ligue conclue à Calais, le triomphe durable de Charles-Quint en Italie ou le retour victorieux de François Ier dans le Milanais.


MIGNET.

  1. « Papa lætabatur propterea ut nunquam plus lætatus fuerit intrinsecus vel extrinsecus ita ut signa per triduum fieri curaverit. » Paris de Grassis, maître des cérémonies de Léon X, dans le journal de son pontificat, qui se trouve aux mss. de la Bibliothèque impériale. — Diarium, vol. III, p. 919.
  2. Ibid. 920.
  3. Dans Albéri, deuxième série, vol. III, p. 71, net. 1.
  4. « Concludo que non è morto mai papa con peggior fama dapoi è la chiesa di dio. » Lettera scritta a Roma, 21 febr. 1521, citée dans L. Ranke, Hist. de la Papauté, etc., t. Ier, p. 130.
  5. De 800,000 ducats, d’après son maître des cérémonies. « Camera et sedes apostolica dicitur exhausta et debitrix in summa VIII. c. mill. ducatorum. » Diarium, t. III, fol. 923, 924.