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— Voilà, disait-il, la femme qu’il me faut. Serai-je aimé d’elle ? — Le souvenir de Julia traversa son esprit comme un remords. — Bah ! elle se consolera. — Ce fut le terme de ses réflexions. Il se livra tout entier au plaisir d’admirer sa nouvelle idole.

Quand elle eut chanté, Lucy descendit dans le jardin. Acacia la suivit, et marcha quelque temps en silence à côté d’elle.

— Ai-je bien chanté ? dit-elle pour rompre le silence.

— Comme ces anges dont vous parlez, répondit Acacia.

La réponse était vulgaire, mais l’accent indiquait quelque chose de plus qu’un compliment banal. Elle le sentit, et voulut détourner la conversation.

— Deborah est un grand poète, et l’on trouve en elle quelque chose de l’inspiration des prophètes.

— Je vous crois sur parole : je connais trop peu les prophètes et la poésie pour en juger ; mais tous ceux qui ont entendu la musique l’ont trouvée admirable.

— Comme la musicienne, n’est-ce pas ? dit Lucy en riant. Eh bien ! la musique est de moi. Récriez-vous, si vous voulez, sur mon génie. C’est du Beethoven tout pur, n’est-ce pas ?

— Miss Lucy, dit le Français avec émotion, me confondez-vous avec la foule des faiseurs de complimens ? Suis-je si peu connu de vous ?

— Je sais que vous êtes un ami véritable, et celui de tous que mon frère aime le mieux.

— Ne suis-je pas aussi des vôtres, miss Lucy ?

— Quelquefois. Deborah a des préventions contre vous, et Deborah se trompe rarement.

Acacia sentit son cœur battre fortement. — Voici, pensa-t-il, le moment critique. — Qu’est-ce que miss Deborah peut me reprocher ? dit-il avec une feinte insouciance.

— Cherchez vous-même.

— Voyons, reprit-il, faisons mon examen de conscience. D’abord je suis né à Brives en Limousin, et non pas dans les vertes forêts du Kentucky. Ai-je deviné ?

— Non, ce n’est pas cela.

— Je parle anglais comme les Anglais parlent français.

— Ce n’est rien. Cherchez encore.

— Je ne suis pas méthodiste.

— Vous pouvez être impunément baptiste, anabaptiste, morave ou quaker ; elle passera condamnation sur ce chapitre.

— Malheur à moi ! Je suis né catholique, apostolique et romain, et je dîne quelquefois avec l’abbé Bodini. Faut-il pour cela me mettre à mort ? L’abbé est si bon convive, si gai, si aimable pour tout le