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ment de s’arrêter, de ne plus fournir d’alimens à l’irritation universelle, de travailler à se consolider au lieu de chercher à étendre encore un empire déjà si démesuré. Bien loin de là, Napoléon semblait se plaire à provoquer de nouveaux périls en prouvant à l’Europe, par des actes de plus en plus étranges, qu’avec lui il n’y avait à espérer ni repos ni sécurité. Peu soucieux de l’indication et de l’effroi qu’avaient excités l’invasion non provoquée du Portugal et de l’Espagne, celle des États-Romains, l’emprisonnement de Ferdinand VII et du souverain pontife, il multipliait ses usurpations réunissait à son empire, par un simple sénatus-consulte et sans la moindre apparence de prétexte, la Hollande, les ville hanséatiques, le duché d’Oldenbourg, possédé par un parent de l’empereur de Russie. Il poussait ainsi à bout ce puissant souverain, le seul sur le continent qui n’eût pas encore complètement subi son joug, que jusqu’alors il avait cru devoir ménager, rechercher même, dont il s’était proclamé l’ami, mais que maintenant, dans l’enivrement de son orgueil, il voulait humilier ou écraser à son tour, parce qu’il osait persister dans une politique indépendante. En un mot, Napoléon, si l’on peut ainsi parler, formait de ses propres mains la coalition universelle sous laquelle il devait succomber, et il ne s’apercevait pas que les forces dont il pourrait disposer au jour de la grande crise diminuaient dans la même proportion que s’accroissaient celles de ses ennemis ; il ne voyait pas que son admirable armée, trop souvent, trop cruellement décimée par la victoire même et comptant dans son sein trop de jeunes soldats, n’avaient déjà plus toute la solidité de l’armée d’Austerlitz et d’Iéna, que si les officiers et les soldats étaient encore pleins d’ardeur, les chefs, comblés de richesses et d’honneurs, commençaient à désirer un repos qui leur permît enfin d’en jouir, que le peuple, sur qui pesait le fardeau sans cesse aggravé de la conscription militaire, aspirait avant tout à en être délivré, et que l’esprit public s’éteignait sous la pression d’un pouvoir sans limites.

Voilà, en réalité, le spectacle que la France présentait dès 1810 aux observateurs tant soit peu clairvoyans, à ceux que la justesse de leur esprit ou la sagacité de leur haine empêchait de se laisser éblouir par le prestige qui cachait encore aux yeux de la foule les signes précurseurs de la tempête. Pour nous, qui jugeons après l’événement, il nous semble qu’on aurait dû les apercevoir plus tôt. C’est que nous ne tenons pas un comte suffisant de l’étonnement, de l’enthousiasme excités par les merveilles des premières années du règne de Napoléon et des puissantes illusions qu’elles avaient fait naître. Soyons indulgens pour ceux qui, arrachés par lui aux horreurs de l’anarchie, lui ont trop facilement et trop longtemps pardonné d’avoir intronisé le pouvoir absolu sur les ruines, non pas de