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si inégale contre la coalition européenne, incessamment grossie par la défection des alliés de la France et appuyée par l’enthousiasme patriotique du peuple allemand.

Marmont ne manqua pas à sa réputation d’habileté et de fermeté. Après avoir lu les curieux détails que contiennent ses Mémoires sur cette terrible campagne de 1813, on comprend parfaitement les causes de nos revers définitifs. Sans parler même de l’inégalité des forces, sans tenir compte du poids que mettaient contre nous dans la balance les dispositions morales des populations, il y avait encore cette circonstance, que les armées étrangères s’étaient améliorées en s’instruisant à notre école, en s’habituant à ce système de guerre à outrance, sans relâche, sans repos, auquel nous avions dû tant de succès lorsque nous le pratiquions seuls contre des ennemis endormis dans la routine. Au contraire l’armée française, composée d’hommes trop jeunes, trop faibles physiquement, trop complètement inexpérimentés, n’avait plus l’incomparable solidité des anciens jours. Ces conscrits étaient encore admirables d’élan et d’audace au moment de l’action, mais au premier revers ils se décourageaient, ils ne rêvaient plus que des malheurs nouveaux, les forces leur manquaient pour supporter les rudes épreuves qu’ils avaient à subir; la fatigue, la maladie, les décimaient rapidement. Les chefs se laissaient gagner à la lassitude commune et n’aspiraient plus qu’au repos; quelques-uns étaient tombés au-dessous d’eux-mêmes depuis que la fortune avait cessé de leur sourire.

Marmont peint très bien cet état de choses, tout en y mêlant parfois des appréciations dont on peut suspecter la sincérité ou tout au moins l’exactitude, parce qu’elles portent sur des faits où son amour-propre était intéressé. Il raconte aussi d’importans entretiens qu’il eut alors avec Napoléon. Bien que, suivant toute apparence, les préoccupations du maréchal aient un peu altéré les souvenirs qu’il en avait conservés, le fond en est très certainement vrai. On comprend que Napoléon, déjà entraîné vers sa ruine et le sentant au fond de son âme plus qu’il ne voulait l’avouer et qu’il ne se l’avouait à lui-même, trouvât quelque douceur, quelque soulagement à causer avec le plus ancien de ses compagnons d’armes, avec l’ami de sa jeunesse, avec celui dont l’intelligence était le plus capable de comprendre et de discuter ses grandes conceptions, bien que d’autres pussent être plus propres à les exécuter.

La campagne finit comme l’avaient prévu presque tous les esprits éclairés : l’armée française, aux trois quarts détruite, fut rejetée au-delà du Rhin, sur le territoire de l’ancienne France, où les alliés victorieux ne tardèrent pas à pénétrer après elle. Alors commença, au milieu des rigueurs de l’hiver, cette immortelle campagne, la plus étonnante peut-être de toutes celles de Napoléon, où on le vit