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IV.

La seconde restauration, que la déplorable influence d’un parti devait bientôt précipiter dans une réaction violente non moins funeste pour elle que pour ses ennemis, s’annonça d’abord par des actes de conciliation et de sagesse et par d’utiles réformes. Une de ces réformes, qui tendait à une meilleure organisation de l’armée, entraîna la suppression de la compagnie de gardes du corps dont le maréchal Marmont était le chef. Il en fut dédommagé par un des quatre emplois de major-général de la nouvelle garde royale, conférés tous à des maréchaux. Ces maréchaux devaient commander successivement par quartier la garde tout entière. De pareilles fonctions convenaient beaucoup mieux à Marmont que celles qu’il perdait. Il avait été consulté sur le mode de formation de cette garde, et ses conseils, appuyés par l’empereur Alexandre, avaient prévalu sur ceux du ministre de la guerre, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, qui n’eût pas voulu donner à ce corps d’élite une force numérique aussi considérable ni des privilèges aussi étendus.

Il faut rendre cette justice au duc de Raguse, que, vivant alors dans le monde de la cour et de l’ancienne aristocratie, où dominaient les passions vindicatives de la réaction, il sut, pour son compte, résister au torrent. Si, dans le procès du maréchal Ney, il vota la mort comme les autres maréchaux et la plupart des généraux siégeant avec lui à la chambre des pairs, qui virent surtout dans l’acte reproché à l’accusé un crime militaire injustifiable à tous les points de vue, il fut du petit nombre de ceux qui demandèrent sans succès que la chambre le recommandât à la clémence du roi. Dans l’affaire de M. de Lavalette, poursuivi alors avec une fureur que ceux mêmes qui la partageaient ne peuvent plus comprendre aujourd’hui, il n’hésita pas à se compromettre pour servir la cause de l’humanité. Le témoignage qu’il se rend à ce sujet est confirmé par tous les contemporains.

Il avait été autrefois lié intimement avec M. de Lavalette, aide-de-camp, comme lui, du général Bonaparte pendant la première campagne d’Italie. Des dissentimens politiques les avaient depuis quelque temps éloignés l’un de l’autre; mais le maréchal, en présence d’une si grande infortune, sentit renaître sa vieille affection. Lorsque l’arrêt de mort eut été rendu par la cour d’assises et pendant que la cour de cassation était saisie du pourvoi, il fit offrir ses services au condamné. Celui-ci, dans une lettre remplie des expressions de la plus vive reconnaissance, le supplia d’obtenir au moins qu’un de ses vieux compagnons d’armes ne montât pas sur l’échafaud. « En tombant sous les balles d’un piquet de braves gre-