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tion d’Essonne, à celui dont le nom avait acquis jusque dans les derniers rangs de l’année une célébrité tristement proverbiale, qu’on pouvait penser à remettre la direction de cette armée. Il y avait donc contre lui, des deux parts, une répulsion qui, sans se manifester ouvertement dans le cours ordinaire des choses, devait dans les grandes circonstances le frapper d’exclusion.

Une seule fois, pendant la restauration, il se vit appelé à jouer un rôle politique, et la conduite qu’il tint alors fut pour les royalistes exaltés un grief dont ils gardèrent longtemps le souvenir. C’était en 1817. Un mouvement séditieux avait éclaté aux portes de Lyon, et le général Canuel, commandant de la division militaire, ancien jacobin converti depuis 1815 au plus ardent royalisme, l’avait réprimé avec une impitoyable rigueur. De nombreuses condamnations avaient été prononcées par la cour prévôtale, le sang avait coulé sur l’échafaud, le pays gémissait sous une sorte de terreur, et la fuite, la dispersion des ouvriers, des fabricans mêmes, livrés aux poursuites les plus arbitraires, avaient dépeuplé les ateliers. Le gouvernement, trompé d’abord par des rapports au moins inexacts sur le degré de gravité de la révolte et sur la nature des moyens employés pour la combattre, n’avait pas tardé à soupçonner qu’on ne lui disait pas la vérité. Les informations de la police étaient d’ailleurs en contradiction avec celles de l’autorité militaire. Pour savoir à quoi s’en tenir, le ministère se décida à une mesure qui n’a jamais été renouvelée depuis. Le maréchal Marmont, revêtu du titre de lieutenant du roi, fut envoyé à Lyon avec des pouvoirs très étendus, qui l’investissaient en quelque sorte de la suprématie civile et militaire dans les divisions territoriales de Lyon et de Grenoble. En arrivant à Lyon, il y trouva les prisons combles, les officiers à demi-solde soumis à la plus dure surveillance et abreuvés d’humiliations comme fauteurs présumés de la révolte, et la ville sans cesse agitée par la crainte de nouveaux soulèvemens qui, annoncés par les agens du général Canuel comme devant éclater à jour fixe, ne se réalisaient pourtant jamais. Le maréchal, toujours un peu léger, se laissa d’abord persuader de la réalité de cette agitation, des dangers qu’elle créait à l’ordre public, et les premières dépêches qu’il écrivit au ministère étaient conçues dans ce sens; mais il s’aperçut bientôt de l’erreur dans laquelle on l’avait entraîné, et alors il ne perdit pas un moment pour mettre fin à la situation déplorable qui pesait sur la seconde ville du royaume. Les exécutions capitales cessèrent, les individus condamnés aux travaux forcés obtinrent leur grâce ou des commutations de peine. Des officiers, des maires de campagne, compromis dans les iniquités qui venaient de s’accomplir, furent destitués. Le général Canuel lui-même fut rappelé, et sa disgrâce à peine déguisée par une nomination aux fonctions annuelles d’inspecteur.