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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/386

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En provoquant de tels actes et de tels changemens, Marmont s’était acquis des droits à l’estime et à la gratitude de tous les gens sensés, de tous les amis de l’humanité; mais avec ce défaut de mesure qui lui était trop habituel dès que son amour-propre ou ses passions étaient en jeu, il ne tarda pas à dépasser le but. Irrité de la désapprobation que sa conduite encourait de la part des ultra-royalistes et excité par son chef d’état-major, le colonel Fabvier, homme d’un esprit ardent et mal réglé, il en vint au point de s’associer aux exagérations que le parti libéral s’efforçait d’accréditer sur l’affaire de Lyon pour s’en faire une arme contre ses adversaires. Ce ne fut plus seulement à ses yeux un complot de peu de gravité, grossi outre mesure par des fonctionnaires publics qui voulaient se faire valoir et justifier leurs procédés impitoyables en persuadant au gouvernement qu’ils venaient de le sauver d’un grand péril : il se mit en tête que la conspiration était purement et simplement une invention, une création factice de la police militaire. Lui qui d’abord, en conseillant le rappel de Canuel, avait demandé qu’on le nommât inspecteur pour dissimuler sa disgrâce, il écrivit un peu plus tard au duc de Richelieu, président du conseil, cette lettre étrange : « En faisant tomber la tête du général Canuel, supplice qu’il a mérité mille fois pour toutes les victimes qu’il a immolées et l’ébranlement qu’il a fait subir à l’ordre social, le roi acquerrait un pouvoir plus grand, une autorité plus forte que celle que lui donneraient cent mille soldats dévoués, car sa puissance serait fondée sur la reconnaissance et la confiance de ses sujets. » S’il parlait sérieusement, il faut en conclure qu’il n’avait pas la moindre idée des possibilités et des convenances du temps.

De retour à Paris, il s’y vit en butte à la malveillance du parti qui s’était pris pour Canuel d’un enthousiasme comparable seulement à celui qu’il éprouvait déjà pour son digne émule, le général Donnadieu. Lorsque le maréchal se présenta chez Monsieur, ce prince, malgré sa courtoisie habituelle, le reçut fort mal, et comme le maréchal s’efforçait de prouver que le système qu’il avait fait prévaloir avait rétabli à Lyon l’ordre et la paix : « Je le crois bien, lui répondit Monsieur, les révolutionnaires ont obtenu tout ce qu’ils voulaient. »

Le roi cependant, en témoignage de sa satisfaction, lui avait conféré la dignité de ministre d’état; mais le duc de Raguse eût voulu quelque chose de plus. Importuné par la polémique qui, à la tribune et dans la presse, s’était engagée sur les événemens de Lyon, il eût désiré que le gouvernement intervînt pour lui donner complètement gain de cause contre les apologistes de Canuel, pour approuver et justifier en détail chacun de ses actes. Il ne voyait pas que cette intervention n’eût fait qu’aviver la lutte et fournir un ali-