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ment aux passions des partis dans un moment où, pour des motifs divers, on avait plus que jamais intérêt à les calmer. Le colonel Fabvier ayant, peut-être à son instigation et tout au moins avec son consentement plus ou moins formel, fait imprimer un écrit où les événemens de Lyon étaient présentés d’une manière très blessante pour le général Canuel, ce dernier attaqua le chef d’état-major du maréchal en calomnie. Marmont, qui ne demandait sans doute qu’un prétexte pour descendre dans la lice, publia, sous la forme d’une lettre au président du conseil, un mémoire où il confirmait les assertions du colonel Fabvier. C’était un procédé fort irrégulier et d’un dangereux exemple que celui d’un haut fonctionnaire rendant ainsi compte au public de l’accomplissement d’une mission délicate dont il avait été chargé par le gouvernement. Le roi, à qui il avait écrit directement pour lui annoncer cette publication, en fut très blessé aussi bien que les ministres. S’il faut en croire le duc de Raguse, M. de Richelieu, dont la susceptibilité était grande pour tout ce qui n’était pas dans le plus parfait accord avec la plus scrupuleuse délicatesse, aurait eu un moment la pensée de le faire appeler en duel : le maréchal Gouvion Saint-Cyr aurait proposé de le destituer de l’emploi de major-général de la garde; mais M. Decazes se serait opposé à une mesure aussi extrême, et Louis XVIII s’étant rallié à son avis, tout se réduisit à une lettre que le ministre de la guerre lui écrivit pour lui défendre, de la part du roi, de paraître aux Tuileries jusqu’à nouvel ordre. Cette disgrâce fut de courte durée.

Ce n’était pas par de telles légèretés que le maréchal pouvait se frayer le chemin du ministère, et je ne le suivrai pas dans tous les détails de sa conduite politique pendant la restauration. Une seule fois, depuis sa mission de Lyon, il se vit appelé à des fonctions, sinon importantes, au moins éclatantes : il fut envoyé en Russie en 1826 pour assister, comme ambassadeur extraordinaire, au couronnement de l’empereur Nicolas. Cette ambassade, toute d’apparat, dans laquelle il déploya un faste prodigieux, lui procura d’assez grandes satisfactions d’amour-propre. Moins que personne, il pouvait échapper à la séduction de ces cajoleries, de ces prévenances recherchées dont les souverains de la Russie sont prodigues pour les étrangers éminens, particulièrement pour les militaires qui visitent leur empire, alors surtout que par leur position ceux-ci peuvent exercer quelque influence soit sur les résolutions de leur gouvernement, soit sur les sentimens de leurs compatriotes. En lisant les récits du maréchal, on sent qu’il fut charmé comme tant d’autres, et plus tard, lorsque les jours d’épreuve furent arrivés pour lui, il ne dissimule pas une certaine surprise de n’avoir pas reçu des témoignages marqués d’une bienveillance sur laquelle il croyait pouvoir compter.