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bord promis son appui en protestant qu’il ne pensait en aucune façon à se charger lui-même de l’expédition projetée, n’en obtint pas moins l’emploi que Marmont désirait avec tant de passion. Le maréchal, en racontant ce cruel mécompte, semble être encore sous l’impression douloureuse qu’il en éprouva. Il peint avec une vérité naïve ses angoisses, lorsqu’il commença à soupçonner un résultat si contraire à ses vœux comme à ses espérances, puis, lorsqu’il ne lui fut plus possible d’en douter, sa colère, son indignation, son humiliation même, la pensée qu’il eut d’abord de tout abandonner, de donner sa démission des fonctions de major-général de la garde. Il ajoute que, pour le calmer, on lui promit de le nommer gouverneur d’Alger après la conquête. Cette promesse ayant ensuite été retirée, parce qu’on n’avait pas encore de vues bien arrêtées sur ce qu’on ferait de l’Algérie, il demanda l’ambassade de Saint-Pétersbourg; mais il se trouva qu’on la réservait à un autre.

Il y avait dans cette série de mécomptes de quoi décourager l’ambition la plus tenace. Le maréchal cependant était loin de pouvoir comprendre alors tout ce qu’ils avaient de funeste pour lui. S’il voyait distinctement les avantages de tout genre et la gloire dont le privait la préférence accordée à M. de Bourmont pour le commandement de l’expédition d’Alger, il ne pouvait deviner l’affreux malheur qui allait être le contre-coup de la déception par laquelle il se trouvait retenu en France. Au moment où éclata l’insurrection de juillet, provoquée par les fatales ordonnances, il était de quartier pour le commandement de la garde royale. On le chargea naturellement de la direction de toutes les forces appelées à soutenir le coup d’état en réprimant la révolte.


V.

Si, jusqu’aux journées de juillet 1830, on peut dire que les contrariétés et les traverses éprouvées par le maréchal avaient été généralement la conséquence de ses fautes, il en fut tout autrement en cette occasion. Jamais homme ne se vit placé dans une situation plus triste, plus fausse, où la ligne du devoir et de l’honneur fût plus difficile à discerner et à cuivre. Sa raison, ses opinions connues condamnaient les ordonnances, et, si elles ne lui inspiraient aucune sympathie pour les insurgés, devaient au moins lui faire considérer comme pénible et douloureuse la tâche de les réprimer par la force. D’un autre côté, placé à la tête de la garde, répondant de la sûreté du trône et de la famille royale, ce n’était pas en présence d’une insurrection formidable, dans un moment de danger par conséquent, qu’il pouvait refuser l’appui de son bras au souverain qu’il