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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/395

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grandeurs de la France résidaient en lui, qu’après lui il n’y a plus eu que misère, petitesse, et que par conséquent, en concourant à le renverser, ils ont contribué autant qu’il était en eux à abaisser leur pays. Jamais peut-être on n’a mieux vu que dans cette espèce de confession jusqu’où peut aller l’entraînement du dépit, de l’ambition, de l’amour-propre déçus. Qu’y a-t-il de vrai d’ailleurs dans ces accusations de faiblesse et d’impuissance que toutes les oppositions ont successivement dirigées contre les gouvernemens qui ont suivi celui de Napoléon? Est-il juste d’affirmer que sous leur direction la France a été constamment en décadence, que sa position, lorsqu’ils ont cessé, s’est trouvée inférieure à ce qu’elle était avant eux, et qu’un souvenir de honte, un sentiment de haine doit s’attacher à leur mémoire? Ce serait là l’infaillible conséquence du rôle, de l’action que leur attribuent M. de Chateaubriand et le maréchal Marmont. Le moment est peu favorable pour traiter une pareille question avec tous les développemens qu’elle comporte : je me bornerai à rappeler, pour répondre aux dédains affectés de ces deux personnages, que les gouvernemens si maltraités par eux ont successivement relevé la France de la situation presque désespérée où l’avaient jetée les désastres de 1814 et 1815, qu’ils lui ont donné des finances florissantes, un crédit qu’elle n’avait jamais eu, une armée, une marine comparables à celles de ses meilleurs temps; qu’ils ont poursuivi et (trop passagèrement, il est vrai) atteint un noble idéal d’organisation politique; que les institutions alors en vigueur ont mis au jour de beaux caractères et de grands talens, et que, par les idées qu’elles ont propagées, elles ont rendu possibles des réformes, des progrès désormais irrévocablement acquis à la cause de l’humanité. On peut penser, si l’on veut, que ces institutions étaient à quelques égards en avance sur les mœurs et l’esprit du pays, qu’elles renfermaient une part d’utopies dont les passions et la mauvaise foi ont souvent abusé; mais il faut au moins reconnaître que ces utopies n’avaient rien de bas, rien de dégradant, et qu’un grand nombre de ceux qui ont essayé de les appliquer méritaient toute autre chose que les injurieux sarcasmes du duc de Raguse et de M. de Chateaubriand. Il est vrai que la France, pendant la période qu’ils ont voulu stigmatiser ainsi, sans rester à beaucoup près étrangère à l’honneur des armes, n’a pas inondé l’Europe de sang, asservi des peuples et brisé des trônes pour étendre ses frontières; mais en vérité il n’est ni d’un esprit sérieux, ni d’une âme élevée de voir exclusivement la grandeur dans le fracas des batailles et les triomphes de la force matérielle, presque toujours suivis d’expiations si amères.


L. DE VIEL-CASTEL.