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soumettant à ce qu’on appelle son administration les rayas chrétiens ; elle anéantit les effets du traité de 1856, qui avait promis aux populations chrétiennes de l’Orient que leur sort serait amélioré, tandis qu’il se trouve empiré, de telle sorte qu’elles n’ont plus, comme en Bosnie et dans l’Herzégovine, que la fatale ressource de l’insurrection. Voilà ce que j’appelle l’esprit de la restauration musulmane, que je trouve fort naturel chez les Turcs, mais qui m’étonne et me choque chez les chrétiens.

On croit que cet esprit est une bonne politique, et on se moque des publicistes qui portent les préjugés de la sacristie dans la question d’Orient. Les sacristies, si elles sont chrétiennes, jugent mieux la question d’Orient que les cabinets qui se font musulmans ; car cette politique musulmane est punie en Orient par ses effets mêmes, puisque chaque pas que fait l’Europe ou qu’elle laisse faire vers la restauration musulmane est, ne nous y trompons point, un pas fait vers le rétablissement de la prépondérance de la Russie en Orient, si bien que d’ici à quelques années il faudra refaire la guerre de Crimée ou prendre son parti de laisser l’Orient aux mains de la Russie. Écoutez sur ce point ce que dit Mgr  Mislin dans sa préface. Ses paroles sont curieuses et graves. « Une illusion plus grande encore dans laquelle nous sommes, c’est que nous nous imaginons que la Russie a perdu son influence en Orient par la dernière guerre. Ses armées avaient pris trop brusquement le chemin de Constantinople ; une coalition crue impossible, et qui effectivement n’a pas duré longtemps, les a repoussées, il est vrai, en faisant d’immenses sacrifices qu’on ne sera pas disposé souvent à renouveler. Jamais la Russie ne se désistera de ses prétentions sur l’Orient. La religion est l’instrument de son ambition, et elle s’en sert habilement… en se posant comme la protectrice de la croix contre le croissant… Les Grecs, disséminés, perdus, oubliés dans ce vaste Orient, habitués pendant des siècles à regarder les Turcs comme leurs oppresseurs, ne voyant arriver de secours réel de nulle part, sont naturellement disposés à prêter l’oreille à ces émissaires chargés de dons et de promesses qui leur montrent le tsar comme le vengeur de tous leurs griefs, et leur disent de compter en toute chose sur la sainte Russie. »

C’est ici que je veux expliquer rapidement ce que je disais plus haut, que le traité de Paris est exécuté moins chrétiennement qu’il n’a été fait.

Il y a dans le traité de Paris une partie toute chrétienne que le congrès y avait placée, non pas seulement dans une pensée de charité, mais dans une pensée fort politique : c’est tout ce qui concerne les chrétiens d’Orient. Le traité de Paris a promis d’améliorer le