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sort des populations chrétiennes soumises à la Porte-Ottomane. La charité obligeait le congrès à prendre cet engagement ; la politique l’avertissait aussi que c’était le seul moyen de séparer les Grecs d’Orient de la Russie. À mesure qu’ils espéreraient plus en l’Europe, ils s’éloigneraient plus de la Russie. Aussi l’amélioration du sort des chrétiens d’Orient était dans la guerre de Crimée une des questions que les documens diplomatiques mettaient au premier rang. Réprimer la prépondérance de la Russie et aider à la régénération des chrétiens d’Orient, tels étaient les deux buts qu’avait la guerre de 1855, et le second ne semblait pas alors moins nécessaire à atteindre que le premier ; on n’en parlait pas avec moins d’ardeur et moins de solennité. Sans cela, la guerre de 1855 aurait été toute musulmane, et tout le monde voulait éviter qu’elle eût ce caractère. Le traité de Paris s’attacha aussi soigneusement à constater l’échec de la Russie en Orient et la borne mise à son ambition qu’à proclamer avec netteté l’engagement pris par l’Europe occidentale et par la Porte-Ottomane de venir en aide aux chrétiens d’Orient. Cette amélioration devait se faire par la Porte sous la surveillance de l’Europe. C’est donc en ce point surtout que le traité de Paris devait être exécuté chrétiennement. L’a-t-il été ? Non, mille fois non, malgré tous les décrets de la Porte-Ottomane, qui ne sont qu’une lettre morte, et dont l’inefficacité dérisoire commence aux portes mêmes de Constantinople pour aller en augmentant jusqu’aux limites de l’empire. Cet esprit de restauration musulmane dont quelques personnes auraient voulu faire l’esprit de la guerre de Crimée est devenu, malgré les résistances bien avisées du gouvernement français, l’esprit qui chaque jour davantage a présidé à l’exécution du traité, si bien que le traité a été exécuté dans un sens contraire à ses principes et contraire aux intentions de la guerre. L’exécution chrétienne du traité voulait dire que les chrétiens d’Orient seraient protégés, défendus, assistés, par conséquent séparés du patronage de la Russie et rattachés au patronage européen. L’exécution chrétienne du traité voulait dire que les principautés danubiennes deviendraient chaque jour plus européennes, et que leur autonomie, consacrée par les anciens traités et par les nouveaux, serait chaque jour plus respectée. L’exécution chrétienne du traité voulait dire enfin qu’en Serbie la présence d’une garnison turque dans la forteresse de Belgrade ne deviendrait pas pour la Porte-Ottomane le prétexte d’une ingérence quelconque dans les affaires de la principauté indépendante de Serbie, sans qu’une réclamation des puissances européennes réprimât à l’instant même cette prétention. L’exécution musulmane du traité veut dire au contraire que, prenant au sérieux l’ambition sénile de la Turquie, on lui laisse croire qu’il importe au salut du