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notre attention par l’importance des résultats scientifiques qu’on en peut attendre : je veux parler de la relation probable existant entre la nature du fond de l’Océan et la circulation de ses eaux. Les échantillons de ce fond, rapportés de profondeurs considérables, présentent une apparence argileuse qui trompe au premier abord ; mais, placés sous le microscope, on constate avec étonnement qu’ils ne renferment ni sable ni gravier, du moins en général, et qu’ils sont presque exclusivement composés d’une agrégation de coquilles microscopiques dans un état plus ou moins parfait de conservation. Nous sommes donc d’abord porté à conclure de ce fait qu’il s’opère sur le fond de l’Océan un dépôt incessant de ces coquilles, dépôt dont Maury compare avec beaucoup de justesse l’effet au linceul dont nous voyons en hiver la neige recouvrir les inégalités du sol, et, qui plus est, il est permis de voir dans ce phénomène un travail préparant le sol fertile que quelque future convulsion de notre globe destine sans doute à être peuplé et cultivé ; nos marnières par exemple accusent une semblable formation dans leurs parties siliceuses et calcaires[1].

Ces animalcules ont-ils vécu là où la sonde est allée les recueillir ? L’énorme pression de la colonne d’eau qui y eût pesé sur leur frêle texture[2] et en eût empêché le développement rend plus probable l’hypothèse qui les fait vivre à la surface de l’Océan, à portée des bienfaisantes influences de la chaleur et de la lumière, jusqu’au moment où la mort envoie leurs dépouilles tapisser les abîmes des profondeurs sous-marines. Dans ce cas, la question s’agrandit et acquiert des proportions capitales par les nouveaux horizons qu’elle découvre. L’examen des échantillons obtenus présentait en effet des différences remarquables selon les parages considérés : dans l’Atlantique nord par exemple, le fond semblait composé de coquilles presque toutes calcaires, tandis que dans la mer de Corail ces coquilles étaient presque toutes siliceuses. Or la faible densité de ces dépouilles en doit rendre extrêmement lente la descente vers le fond ; elles doivent suivre, longtemps après la mort de l’animal, le mouvement de l’eau dans laquelle elles se sont développées, de sorte que si les progrès des sciences d’observation permettaient de classer par espèces ces myriades d’animalcules selon les différens parages habités par eux à la surface de l’Océan, si en même temps la pratique des grandes sondes devenait assez perfectionnée pour fournir en nombre

  1. Il est de ces animalcules, tels que les infusoires formant la pierre de Bilin, si imperceptibles, qu’il en faut 187 millions pour peser un grain, et 41,000 millions pour faire un pouce cube ! (Ehrenberg.)
  2. On a rapporté de ces coquilles provenant de profondeurs de près de 4,000 mètres ; elles supportaient donc une pression de près de 400 atmosphères !