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suffisant des spécimens du fond de toutes les mers du globe, on parviendrait peut-être à établir le rapport qui doit lier ces deux études l’une à l’autre. On trouverait probablement ainsi des coquilles descendues au fond à des distances extrêmement considérables du point où elles se sont formées, ayant peut-être franchi l’intervalle de deux océans, et, ces animaux étant par eux-mêmes privés de locomotion, on serait en droit d’en conclure d’irrécusables indications sur les courans qui auraient de la sorte transporté leurs demeures privées d’habitans. En un mot, de même que le phénomène des pluies de poussière avait permis d’étiqueter en quelque sorte l’atmosphère, Maury indique ici comment les progrès de l’avenir permettront d’étiqueter les eaux de l’Océan pour les suivre dans les voies inconnues de leur long trajet[1].

Il reste, pour terminer cette étude de l’Océan, à dire quelques mots du cas particulier des mers intérieures. On s’est jadis fort préoccupé des différences de niveau que l’observation constatait entre ces mers et l’Océan : c’est là pourtant un phénomène des plus simples. La mer Caspienne par exemple n’a, on le sait, aucun déversoir extérieur, et son niveau demeure à peu près sensiblement le même d’une année à l’autre : de ce double fait résulte avec la plus complète évidence que pour toute l’étendue du bassin de cette mer la précipitation est mathématiquement égale à l’évaporation. Si au contraire on considère les grands lacs de l’Amérique du Nord, dont la superficie totale est à peu de chose près égale à celle de la mer Caspienne, la communication de ces lacs avec la mer par le Saint-Laurent prouvera que pour l’étendue de leur bassin la précipitation surpasse l’évaporation d’une quantité représentée précisément par l’eau de ce fleuve[2]. Admettons maintenant qu’une cause quelconque

  1. On pourra également conclure des mœurs des poissons et de leurs migrations des indications précieuses sur les courans, lorsque cette étude sera plus avancée qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est en partie dans cette vue que Maury a construit, d’après les données recueillies par les pêcheurs américains, des cartes baleinières représentant la fréquence relative de ces cétacés dans les différentes mers du globe, et qu’à son imitation les Hollandais ont construit des cartes analogues pour le hareng. Des faits curieux ressortent de ces travaux : ils montrent par exemple que pour la baleine franche la zone torride est aussi infranchissable qu’une véritable mer de feu ; ils ont aussi, par la présence de cachalots dans certains parages anormaux, mis peut-être Maury sur la trace d’un courant sous-marin sortant de l’Atlantique. Nous avons dit que nul courant de ce genre n’y existe à la surface.
  2. Cette théorie si simple, qui consiste à voir dans un cours d’eau le produit des pluies de son bassin, bien que d’une date ancienne, et n’a été généralement admise que dans le courant du siècle dernier. Ainsi, dans le xviie siècle, Descartes lui-même fait provenir les eaux souterraines, qui donnent naissance aux fleuves, de la distillation des eaux de la mer au moyen de feux situés dans les entrailles de la terre ! Pourtant, dès 1580, Bernard de Palissy, dans son Discours admirable sur la nature des eaux et des