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appliquant à la mer la théorie qui a déjà rendu un compte satisfaisant des vents alizés, qu’on parviendra à débrouiller la question dont nous venons de nous occuper. C’est ainsi, suivant moi, qu’il sera également possible de concevoir comment des courans animés de vitesses peu considérables traversent d’immenses étendues de mer, et comment ils sont infléchis ou réfléchis à distance par les côtes des continens et des îles. »

En résumé, il semble que jamais jusqu’ici la météorologie n’avait été envisagée avec l’ampleur de conception qui signale l’œuvre de Maury ; jamais plus abondans matériaux n’avaient été mis au service d’un esprit aussi éminemment généralisateur, et jamais vues d’ensemble n’avaient été unies à une sagacité plus pénétrante dans la discussion des détails. Toutefois nous ne devons pas omettre d’indiquer une des principales objections que peut soulever l’examen de ces doctrines : dans la partie de son œuvre qui traite spécialement de la navigation et de la détermination des nouvelles routes, la méthode inattaquable suivie par Maury n’est qu’une application rigoureuse et mathématique du calcul des probabilités, tandis que dans la partie scientifique on est forcé de reconnaître un usage fréquent de l’hypothèse. Lui-même va le premier au-devant de ce reproche. « En présence de la pauvreté actuelle de nos connaissances sur ces matières, dit-il, l’hypothèse semble être la base de l’édifice à la construction duquel nous travaillons, car pour avancer dans ces recherches il faut pouvoir bâtir sur quelque chose. Lorsque les faits nous manquent, nous sommes parfois en droit de les supposer ; seulement il faut alors qu’ils soient d’abord possibles, et de plus probables ; il faut qu’entre les diverses hypothèses qui se présentent, nous choisissions celle qui explique le plus grand nombre de phénomènes, et nous pouvons alors réclamer pour elle un respect mérité, tant qu’elle ne nous conduit pas à quelque absurdité palpable, ou encore jusqu’à ce qu’une autre hypothèse vienne à donner l’explication d’un plus grand nombre de phénomènes. Dans ce cas, uniquement préoccupés d’une recherche consciencieuse de la vérité (honest searchers after truth), nous devons abandonner la première hypothèse pour la seconde, jusqu’à ce qu’une troisième, préférable aux deux autres, vienne à se présenter à son tour. »

S’il fallait maintenant faire chez Maury la part de l’homme après celle du système, on pourrait dire que le caractère dominant de son génie est cet amour de la vérité qui respire dans les lignes que nous venons de citer. Pas un mot chez lui ne révèle la moindre trace de cet amour-propre dont sait si rarement s’affranchir un auteur, surtout lorsque ses doctrines éveillent la discussion des contradicteurs ;