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viennent des apparitions formidables. J’ai dû suivre sur une terre d’exil, dans un voyage d’outre-mer, celui dont, après tout, je porte le nom. Ah ! mon ami, je souffre cruellement. » Ce fut Cosme qui éprouva une poignante souffrance. La douleur est à coup sûr un des élémens créateurs de ce monde; pour nombre d’esprits, c’est la source des inspirations les plus hautes. Cosme écrivit sur les événemens auxquels il venait de prendre part un pamphlet qui commence, avec un seul changement de mot, comme une œuvre ardente de Chateaubriand : « Non, je ne croirai jamais que j’écris sur le tombeau de l’Italie... » Un grand bruit se fit alors autour de lui. Il s’était attaqué à cette infernale trinité qui, selon l’auteur du Mémorial, amena la défaite de Waterloo : la lâcheté, la trahison, la bêtise. Qu’on juge des vociférations dont fut entouré le pauvre Cosme. Bien des voix chaleureuses aussi l’acclamaient. Nul ne possédait mieux que lui cette sorte de patriotisme chevaleresque dont l’effet est si puissant quand il paraît sur des lèvres où il peut noblement se montrer. Ce pauvre Giuli, dans tout ce tumulte, aurait pu échapper à son aïeule Vénus; c’est ce qu’il n’essaya pas de faire. La déesse, comme au temps de Phèdre, était attachée à sa proie, ou plutôt je crois que sa proie lui était singulièrement attachée.

Je ne raconterai pas toutes les amours de Cosme; c’est sur un seul point de sa vie que je veux porter la lumière. Si je réussis d’ailleurs à bien éclairer ce point-là, il n’y aura pas une partie de son existence où ne se fasse subitement le jour. Je prendrai Cosme tel qu’il était quand il revint de sa dernière campagne, de cette étrange guerre de Crimée qui, dans un prodigieux éclair, a montré vivant, splendide, tout plein encore de jours glorieux et terribles, ce vieux monde du sang et de la force que tant de gens déjà croyaient mort.

Cosme, en revenant de Crimée, était ce qu’on est convenu d’appeler libre, c’est-à-dire qu’aucune femme ne songeait plus à lui dire : j’ai besoin, pour vivre, de votre vie. Depuis deux années qu’il guerroyait, le chœur des affections passionnées, qui suivait autrefois sa marche, avait eu le temps de se lasser. L’isolement où il s’était trouvé à son retour l’avait affligé d’abord, puis peu à peu il s’était senti dans une disposition d’esprit toute nouvelle. Lui qui avait eu pendant si longtemps, comme nombre de ceux qui sont réputés par le vulgaire ingrats, inconstans et légers, une sorte de tendresse superstitieuse, de culte aveugle pour le moindre souvenir, lui qui gardait, comme ce pauvre Byron, toute sorte de billets stupides écrits par des êtres qui brûlaient ses nobles et charmantes lettres, lui qui passait sa vie à évoquer du pays des ombres, par des accens dignes d’Orphée, les plus insignifiantes Eurydices, il se sentit pris d’un irrésistible amour pour le nouveau et l’inconnu. Or ce qui lui sembla