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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/453

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la chose nouvelle et inconnue par excellence fut une machine autour de laquelle cependant il avait bien tourné, mais qu’il s’imaginait n’avoir jamais vue que d’un seul côté : ce fut cette arche antique, ce vieux navire patriarcal, qui, ballotté sur une mer toujours houleuse, attaqué par une race indestructible de pirates, n’en poursuit pas moins sa course avec un air de sécurité benoîte ; en un mot, ce fut le mariage. Nombre de célibataires parmi les plus expérimentés ont absolument les mêmes pensées que Cosme. Ce bonheur conjugal dont ils se sont tant moqués, s’il existait cependant, s’il existait pour les initiés ? Et les voilà rêvant d’un mystère comme celui de la tombe. Pour connaître ce grand secret, il faut se vouer à l’irréparable, franchir un seuil qu’on ne repasse plus : eh bien ! soit, ils auront ce courage. Et ils mettent fin résolument à une vie qu’ils n’oublieront point par malheur. Quand l’hymen vous reçoit dans son royaume, le premier philtre qu’il devrait vous verser, c’est l’eau du Léthé.


II.

Que les gens moraux ne s’indignent pas ! Peut-être en définitive je défends leur cause. Cosme lui-même, en ses jours de sagesse, disait souvent : « Je suis loin de nier qu’il puisse exister, sous la protection de la religion et des lois, nombre d’unions parfaitement heureuses ; c’est ma faute si je ne les ai pas connues. J’ai l’horreur seulement de ce préjugé qui érige en époux modèles ceux qui ont abusé de tous les plaisirs de cette vie. La femme a un singulier instinct qui lui fait repousser l’innocence, je le sais bien. Eve a mieux aimé le diable qu’un homme candide, d’accord. Ne cherchez donc point des Grandissons pour les Clarisses, j’y consens ; mais avant tout ne les livrez pas à de vieux Lovelaces. Il est une race complètement impropre au mariage, c’est celle de ces chercheurs éternels de volupté qui, après avoir embrassé toute sorte d’idoles impures, veulent, dans une étreinte suprême, enlacer la candeur et la jeunesse. Ces gens-là sont des époux de la pire espèce. Si parfois ils évitent certaines mésaventures, ils n’en sont pas moins au-dessous, pour moi, des êtres confians dont les épreuves excitent tant d’injustes railleries. Ils ne sont même pas bons à devenir ce que sont ces honnêtes confesseurs de la foi conjugale. »

Ainsi parla Giuli en maintes occasions ; mais aujourd’hui ce n’est plus de ses paroles qu’il s’agit. Cosme était donc tout étonné de voir pour la première fois le mariage lui apparaître tel que la mort lui était apparue tant de fois, comme un abîme où il avait presque envie de se jeter. Cependant aucune résolution n’était véritablement