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droit, elle en soulevait le voile; ce qu’elle découvrait lui donnait le désir ardent et tendre d’une complète initiation. Elle aimait cette parole de Cosme, cette parole si bizarrement émouvante, qui n’était ni celle de l’orateur, ni celle du poète, ni celle de l’artiste, et qui cependant offrait le langage de ces trois hommes, avec je ne sais quel ton héroïque et preste où l’on sentait le guerrier et ce qu’on nommait autrefois le courtisan. Souvent, assise à ses genoux, le regardant pendant qu’il parlait, elle s’appliquait ces mots adorables de l’Évangile : « J’ai pris, disait-elle, la bonne place; je me suis mise aux pieds de mon seigneur. » Son seigneur alors l’embrassait, et c’étaient des scènes a précipiter sous le poêle nuptial les plus farouches partisans du célibat.

Ainsi vivaient ces deux époux, quand un soir Cosme, par une malencontreuse inspiration, supplia sa femme de ne pas manquer, comme elle en avait l’intention, à un certain mercredi de la duchesse de Tenais.

La duchesse de Tenais a un de ces innombrables salons qui s’appellent chacun tour à tour, depuis plus de soixante ans, le dernier salon où l’on cause. Elle a écrit autrefois Adolphine de Nisdale, un très agréable roman qui a fourni une fort honorable carrière, n’a fait dire que du bien de lui, n’a vécu ni trop ni trop peu, et repose à présent dans un galant mausolée que chaque jour encore on orne de fleurs. C’est au demeurant une gracieuse femme à qui la malveillance est inconnue, et qui honore l’idéal à sa manière, disait Cosme avec ce sourire à la fois attendrissant et moqueur dont il eut seul le secret. Maintenant, s’il faut être franc, ce qui donnait à Giuli cette affectueuse indulgence pour Mme de Tenais, c’était la comtesse Renée de Matte. Renée était une nièce de la duchesse, nièce chérie imposée à l’adoration de tout ce qui voulait plaire à l’auteur d’Adolphine. Reconnaissons-le du reste, c’était chose facile que d’adorer cette charmante créature. Sans avoir rien de la femme qui écrit. Mme de Matte avait un esprit d’une culture singulière; c’était un jardin merveilleux, où l’on trouvait de tout, des fleurs précieuses, des pelouses élégantes, des allées finement sablées, même de grands arbres et du mystère. Les femmes de notre temps, lorsqu’elles ont vraiment de l’esprit, en ont plus que les femmes d’aucune autre époque. Elles ne sont sous l’influence d’aucune de ces passions passagères qu’elles servirent avec tant d’ardeur dans des luttes oubliées; elles ne sont plus jansénistes, ni molinistes: elles appartiennent aux passions vraies et éternelles. Ce trésor céleste par excellence, ce don divin de la lumière qu’elles partagent avec l’onde, la fleur et le diamant, elles le prodiguent à tout ce qui les attire, et elles sont attirées par maintes choses. De là cette éclatante va-