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riété de leur entretien. Je vois d’ici plus d’un sourire moqueur. Je pense ainsi, et Giuli pensait comme moi quand il écoutait Mme de Matte. Mais disons jusqu’au bout une vérité qui du reste ne sera une révélation pour personne : tout Paris a su qu’il l’avait éperdument aimée. Comment, pourquoi cet amour a-t-il fini? Voilà par exemple ce que je ne veux pas dire, ce qui d’ailleurs serait inutile à ce récit. Je puis seulement affirmer qu’au moment où Giuli, pour me servir d’une de ses expressions, prit ce grand et violent parti de se faire mari, Renée était pour lui dans le pays des ombres. Il aurait dii la laisser dans ce pays, ou, s’il eût voulu à toute force évoquer ce gracieux fantôme, ne point faire cette conjuration devant sa femme.

Il y avait déjà une heure à peu près que durait la visite conjugale lorsque Mme de Matte entra. A cet instant même, Amicie, quoiqu’elle fût d’une très réelle ignorance sur l’histoire des salons avant son mariage, regarda son mari et tressaillit : c’était une vraie divination magnétique. Renée a encore une beauté singulière : elle appartient à cette race de femmes qu’un homme très versé dans une certaine espèce d’études secrètes appelle les magiciennes. Ce nom, à mon sens, désigne merveilleusement les filles des sociétés raffinées à ce moment de leur vie où elles opposent au temps des conjurations plus puissantes que ses maléfices. Elles semblent avoir échappé à toutes les lois terrestres, elles bravent également la jeunesse dont le secours leur est inutile et la vieillesse qui fuit devant elles. Il ne leur reste plus qu’à passer déesses. Malheureusement tout à coup leurs sortilèges deviennent impuissans; le miracle cesse, les voilà de nouveau mortelles. Un soir, au commencement d’un hiver, on entend dire : — Avez-vous vu Mme de B... ou Mme de C... cette année-ci? Comme elle est changée! Ce n’est plus elle. — Non, ce n’est plus elle, vous avez raison. — Mauvaises fées, génies malfaisans, puissances ennemies de la beauté et de la splendeur humaines, réjouissez-vous, il y a une vieille femme de plus!

Eh bien! la comtesse de Matte ce soir-là était à l’état de magicienne. Jamais sa taille n’avait été plus souple, son regard plus ardent, jamais sa chevelure noire, d’où pendaient de longues fleurs rouges, n’avait eu plus de voluptueux attraits. Toute sa personne était un véritable élixir diabolique à troubler la cervelle d’un saint. Elle s’assit sur un grand divan placé derrière la table où était le thé. Bientôt Cosme fut auprès d’elle. Il lui présenta sa femme, qu’elle n’avait pas encore vue. Renée eut un sourire charmant pour Amicie; mais pour le pauvre Giuli quel sourire! Quand le destin vous a enchaîné sur le rocher du mariage, c’est ce sourire-là qui vous fait sentir des griffes de vautour.