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raître quelque froideur en ce qui concerne l’alliance avec la France? Bien au contraire, ils ont parlé dans les termes les plus chaleureux de cette alliance, qu’ils ont représentée comme la sauvegarde de la paix générale et de la civilisation. Seulement il est désormais évident que le cabinet de Londres ne croit plus nécessaire de se prononcer, de se hâter, en raison même des circonstances dans lesquelles il se trouve.

En ce moment en effet, il se poursuit en Angleterre un procès contre un réfugié accusé de complicité dans l’attentat du mois de janvier. D’un autre côté, des libelles faisant l’apologie de l’assassinat politique sont également déférés à la justice. N’est-il pas simple et naturel d’attendre le résultat de cette épreuve à laquelle est soumise la législation anglaise? M. Disraeli lui-même résumait la question en ces termes dans le discours qu’il adressait récemment à ses électeurs du Buckinghamshire : « Si la loi anglaise se montre efficace, disait-il, le gouvernement français ne peut qu’avoir confiance en elle ; si elle est impuissante, le moment sera venu de prendre une résolution. Alors l’empereur des Français pourra dire à la nation anglaise : « Désirez-vous que la loi d’Angleterre soit telle qu’un étranger puisse y commettre sans être inquiété un crime qu’un sujet de votre propre souveraine ne pourrait commettre sans être puni? » M. Disraeli parlait à peu près ainsi il y a peu de jours, et, en posant ces questions, il ne se doutait pas qu’il recevait une réponse à Paris même. Cette réponse, c’est une brochure qui vient de paraître sous le titre de l’Empereur Napoléon III et l’Angleterre. On a dit que cette brochure était l’œuvre de M. de La Guéronnière. C’est un bruit répandu sans doute par les amis du publiciste; M. de La Guéronnière est d’habitude moins sobre, moins net et moins heureux. Il suffit de savoir que cette brochure a un caractère officiel qui se laisse voir suffisamment à toutes les pages. C’est un résumé très précis de la situation actuelle, appuyé sur des faits dont quelques-uns étaient peu connus. Le mérite d’une œuvre de ce genre est dans l’esprit de modération qui l’anime. L’auteur évite tout ce qui pourrait blesser les susceptibilités britanniques ; il ne demande pas à l’Angleterre de fermer ses portes aux vaincus de tous les pays et de tous les partis, de renoncer au droit d’asile. Il pose à peu près la question comme la posait M. Disraeli, en disant aux Anglais : Voulez-vous qu’à l’abri de lois inefficaces on puisse préparer des complots meurtriers, ou faire publiquement l’apologie de l’assassinat? — Telle est donc la situation aujourd’hui; tel est, si l’on peut ainsi parler, le dernier mot des deux politiques. Le gouvernement français se borne à demander à l’Angleterre la répression d’actes coupables, en dehors de toute considération d’opinion et de parti. L’Angleterre, de son côté, ne prétend pas protéger les meurtriers et les apologistes du meurtre ; seulement elle veut agir en pleine liberté, en restant fidèle à son esprit, en suivant ses traditions et en maintenant le caractère de sa législation. Dans ces termes, il est évident qu’un rapprochement ne pouvait que devenir facile. Aussi ne faut-il pas s’étonner que M. Disraeli ait pu annoncer ces jours derniers à la chambre des communes la solution de ces difficultés passagères. Ces difficultés sont toutes de circonstance, et il serait même à souhaiter qu’il n’en restât point de traces. Une seule chose est permanente, c’est la nécessité de l’alliance de l’Angleterre et de la France, et sur ce point les déclarations de la brochure qui vient de paraître sont d’ac-