Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bosnie et l’Albanie? Il n’est pas difficile de le voir : c’est le cri séculaire des opprimés fatigués de porter le fardeau. Ce qu’il y a de misérable et d’accablant dans l’état de ces populations se laisse voir à chaque ligne d’une pétition adressée au sultan par les chrétiens de la Bosnie, et remise au prince Callimaki, ambassadeur de la porte à Vienne. Toujours menacés dans leur vie, dans leurs biens, dans leur travail, les chrétiens de ces contrées sont livrés au despotisme des autorités turques, des fermiers de l’impôt, des beys, surtout des beys, sorte de barons féodaux qui se sont constitués, par le droit de la force, propriétaires du sol, et prélèvent, sous forme de redevance, un tiers de tous les fruits de la terre ; ils prélèvent même une dîme sur les fleurs, et comme ils aiment mieux toucher la redevance qu’ils s’attribuent en argent, il leur suffit de donner aux produits une estimation assez haute pour absorber toute une récolte. Les malheureux, pressurés par les exactions et les violences, en viennent à dire que souvent la faim les tourmente au point de les forcer à vendre leurs enfans pour sauver d’une mort certaine toute une famille. Que veut-on que fassent ces populations accablées d’une part et sans protection de l’autre? Elles se soulèvent. Un des fruits de la dernière guerre a été le firman qui promulguait tout un code de réformes destinées à améliorer la condition civile et politique des chrétiens. Deux ans se sont passés, rien de bien sérieux n’a été fait; le firman n’est nullement exécuté dans les provinces occidentales, trop éloignées de Constantinople d’ailleurs pour que les beys n’éludent pas aisément tous les ordres. Aujourd’hui le gouvernement turc paraît s’être décidé à envoyer des commissaires dans l’Herzégovine et dans la Bosnie pour écouter les plaintes des chrétiens; mais ces commissaires n’ont pas quitté encore Constantinople. Pour l’Europe, il ne peut y avoir qu’un seul sentiment, comme il n’y a qu’un seul intérêt, celui de poursuivre incessamment, à travers toutes les difficultés, la transformation graduelle et décisive de cette situation misérable où ont vécu jusqu’ici les populations chrétiennes de l’Orient.

Notre époque a cela de particulier en effet que, même à travers les obscurités et les diversions qui surviennent de temps à autre, il y a un mouvement que rien ne détourne, qui s’accomplit partout, et qui domine jusqu’à un certain point les résolutions des gouvernemens. Vous le voyez aujourd’hui en Chine, où éclate d’une façon si étrange, par tout un ensemble d’opérations combinées, la solidarité qui existe entre la France et l’Angleterre. Canton est bien définitivement au pouvoir des alliés. L’amiral Rigault de Genouilly et l’amiral Seymour, lord Elgin et le baron Gros sont les maîtres souverains de la ville chinoise, occupée, gouvernée et administrée désormais au nom de l’Angleterre et de la France jusqu’au moment où il plaira au fils du ciel, au magnanime empereur qui règne à Pékin, d’accepter des transactions dont les deux états belligérans se chargeront plus tard de maintenir l’efficacité. En tout autre moment, cette guerre de Chine eût sans doute suffi pour attirer exclusivement tous les regards; elle est peut-être un peu éclipsée aujourd’hui par l’insurrection des Indes ou par les questions d’une autre nature qui se sont élevées entre les gouvernemens. Elle ne reste pas moins un des événemens les plus extraordinaires par les conséquences qui peuvent en résulter, un des épisodes les plus curieux du temps actuel par les bizarres détails de ces opérations lointaines, et ce qui fait la nouveauté,