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l’intérêt de ce spectacle, c’est ce contact soudain entre le génie actif de l’Occident et une civilisation immobile, à la fois puérile et corrompue. Les Anglais n’étaient entrés qu’à demi dans Canton lors de leur première guerre, qui fut suivie du traité de Nankin; l’Europe cette fois a forcé toutes les barrières, et elle s’est frayé un passage qu’elle ne laissera pas se fermer de nouveau sans doute. Qui ne se rappelle à peu près, pour l’avoir lu dans les récits de tous les voyageurs, ce qu’est cette ville de Canton, la porte de la Chine, la capitale des deux Kouangs, c’est-à-dire du Kouang-tong et du Kouang-si, deux provinces chinoises qui, à elles seules, comptent plus de trente millions d’habitans? Aux bords du fleuve, toujours sillonné par d’innombrables jonques et formant une sorte de cité flottante, s’étendent les faubourgs, qui sont eux-mêmes une ville populeuse, pleine de mouvement et de commerce. Plus loin est la ville officielle, mi-partie tartare, mi-partie chinoise, la ville murée et entièrement interdite jusqu’ici aux étrangers. Là résident les mandarins, le vice-roi des deux Kouangs, le gouverneur particulier de Canton, le général en chef tartare et toute cette hiérarchie d’autorités organisées selon les traditions d’une politique ombrageuse. Quant aux étrangers, ils sont relégués à une extrémité des faubourgs, dans l’étroit espace assigné aux factoreries. Quelle que soit leur nationalité d’ailleurs, qu’ils soient Anglais, Français, Américains, Danois, Portugais, ils sont tous, aux yeux des Chinois, des barbares tolérés et parqués, à peu près comme les Juifs au moyen âge l’étaient dans les villes. Ces marchands, à vrai dire, forment jusqu’ici dans l’empire du milieu le premier poste de la civilisation, qu’ils servent par leur négoce, par leur industrie, tandis que les missionnaires cherchent à pénétrer dans l’intérieur.

C’est donc là, autour de cette ville, que se déroule ce drame singulier commencé, il y a un an, par une première attaque des Anglais et continué aujourd’hui par les opérations dont on attend encore l’issue. On sait maintenant l’étrange histoire de ces opérations nouvelles. Tandis que les canons des escadres foudroyaient la ville réservée avec une précision qui ne laissait pas d’étonner les Chinois, une petite armée descendait à terre, brisait la faible résistance qui lui était opposée, s’emparait des forts extérieurs, escaladait les murs, et en peu de temps elle demeurait maîtresse de toutes les positions, d’une ville où l’on compte un million d’habitans, et qu’on disait défendue par trente ou quarante mille hommes. Les hommes y étaient à la vérité, mais ils y étaient avec des canons hors de service, avec des armes très primitives et des fusils portant à trente pas. Malgré un esprit d’imitation singulièrement développé, les Chinois ont évidemment tiré peu de profit pour leur expérience militaire de leur première guerre avec les Anglais. Les alliés étaient donc maîtres de tout désormais; ils ont pu franchir librement l’enceinte réservée, mettre la main sur les archives et sur le trésor, et planter sur la plus haute colline de la ville les drapeaux de la France et de l’Angleterre. Anglais et Français ont peut-être éprouvé quelque déception en entrant dans cette ville si soigneusement gardée, et qui se compose de rues étroites et tortueuses. Le spectacle a pu être original sans répondre tout à fait à l’attente des vainqueurs. Au demeurant néanmoins, cette prise de possession a été accompagnée de circonstances et de découvertes assez bizarres. Parmi les papiers qui ont été pris, on a trouvé des rapports datés de Hong-kong