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donnerait, ce semble, assez peu de chose. Dès les premiers pas, on lui a montré l’horizon comme tout près d’elle ; le but le plus élevé que l’on proposait à son activité était de conserver timidement ce qu’avaient créé ses pères, et l’expérience a prouvé que c’était trop lui demander. Dans l’épreuve suprême des esprits et des cœurs, les uns, dès le premier orage, se sont enveloppé la tête et n’ont plus voulu voir ; les autres, entraînés par des lueurs trompeuses, ont marché dans le hasard et la nuit. Chez les uns, tous les signes des âmes faibles, la réaction sournoise, le dépit ; chez les autres, le froissement des âmes prématurément éprouvées ; chez tous, un douloureux aveu : nous ne vaudrons pas nos pères ! Cette défiance, cette humble opinion de soi-même doivent-elles s’appeler modestie ou conscience de son infériorité ? L’avenir le dira. Il est certain du moins que jamais génération n’entra dans l’histoire avec un sentiment si peu arrêté de ses devoirs, avec si peu de préoccupation du but à poursuivre, avec si peu de foi et de philosophie. La libérale antiquité voyait un vice dans le sentiment que le christianisme a érigé en vertu sous le nom humilité ; elle croyait qu’il n’est pas bon de faire peu de cas de soi-même et d’abdiquer volontairement sa fierté. Qu’eût-elle pensé d’une jeunesse qui, au lieu de dire à ses pères comme les enfans de Sparte : « Nous serons un jour ce que vous êtes, » se résigne à mourir de froid et de peur, et se condamne à l’immobilité pour ne point ébranler l’édifice sous lequel elle espère le repos ?

Je ne veux pas rechercher jusqu’à quel point la génération qui nous a précédés peut être responsable de cet abaissement. Je n’examinerai pas si, en nous léguant le désavantage d’une position acquise, elle ne pouvait laisser à notre activité un jeu plus libre, si, en traçant autour de nous un cercle d’où elle nous défendait de sortir, elle n’a pas étouffé ou fait dévier notre originalité, les uns, plus dociles, s’étant renfermés dans une médiocrité résignée, les autres, plus rebelles, s’étant précipités par réaction dans les aventures. Mieux vaut n’accuser que la fatalité de ces irrémédiables défaillances. Peut-être aussi l’esprit français n’est-il pas appelé à dépasser de certaines limites, et les nations latines, avec leurs qualités brillantes et tout extérieures, leur vanité, leur esprit superficiel, leur manque de sens moral et d’initiative religieuse, ne sont-elles destinées à autre chose qu’à captiver le monde par une rhétorique sonore et à l’étonner à certains jours par de brutales apparitions.

Un des traits d’infériorité les plus frappans de la génération nouvelle, c’est son indifférence pour la culture intellectuelle et les choses désintéressées. Quelque jugement que l’on porte sur l’ensemble des travaux que laissera derrière elle la génération qui nous