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a précédés, il faut reconnaître que jamais race d’hommes ne posséda plus éminemment cet appétit des choses qui fait saisir la vie avec ardeur comme une proie désirable. Les lacunes qu’on peut découvrir dans son développement furent celles de son esprit, non de sa curiosité ; elle aima le monde et y prit goût. Sa mélancolie, je n’y crois guère : elle en parlait trop pour que le mal fût bien profond. Quand vint le jour de l’action, ces Werther de la veille se trouvèrent la tête fort lucide et pleine du sens de la réalité. C’est nous qui sommes les vrais dégoûtés, nous qui doutons de l’esprit humain, sceptiques ou dévots, sans goût pour la contemplation des choses, sans passion pour l’univers, étrange renversement ! ce sont des hommes d’un autre âge qui soutiennent de nos jours la cause de l’esprit, et arrêtent la jeunesse sur la pente d’une entière abdication !


I

Ces réflexions, que tant de faits contemporains suggèrent, ne m’ont jamais plus vivement frappé qu’en lisant le volume charmant que M. Cousin nous a donné il y a quelques jours. Les morceaux qui le composent sont fort divers, et l’auteur a bien fait de ne chercher à établir entre eux aucun lien artificiel ; mais un trait commun les unit : je veux dire un vif et brillant enthousiasme, ce goût de la beauté en toute chose que, depuis les jours de la Grèce antique, nul n’a peut-être si richement possédé, cette activité toujours florissante, ce privilège divin du génie qui change en or tout ce qu’il touche et crée l’intérêt des sujets par la passion dont il les anime. M. Cousin, plus qu’aucun écrivain de notre temps, a eu le don de diriger l’opinion et de rendre contagieuses ses admirations et ses sympathies. Qui ne se rappelle ce tableau plein de grâce de la vieillesse de Kant, ces pages éloquentes sur Santa-Rosa, ces belles études sur Rousseau ? On ne parcourra point ici la série des objets que M. Cousin a aimés et fait aimer : on cherchera de préférence la raison générale qui a tenu le siècle sous le charme de ce brillant esprit. Le volume dont nous parlons contient à cet égard une véritable révélation. Une pensée tardive, mais à laquelle tous applaudiront, a porté M. Cousin à publier en 1857 les notes de son voyage d’Allemagne de 1817. Il a jugé à propos de nous livrer, après quarante ans, les souvenirs de l’impression première qu’il reçut à ce moment décisif où il alla chercher au-delà du Rhin le ferment d’un esprit nouveau. Aucun morceau n’est aussi propre à nous livrer le secret de son éducation intellectuelle et à nous faire comprendre sa véritable originalité.

Les critiques superficiels, qui appellent allemand tout ce qui est obscur