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à ceux qui l’interrogent avec sympathie. C’était en 1817, au lendemain du grand mouvement qui fit lever l’Allemagne contre la prétention toute française de régenter l’esprit. La compression de l’étranger et surtout l’abus de la centralisation avaient révélé l’esprit allemand à lui-même. Les peuples germaniques ne retrouvent toute leur force que le jour où ils voient leur liberté intellectuelle menacée : les droits de l’âme et de la conscience ont seuls le privilège de les passionner. L’Association de la Vertu, le rôle si original de penseurs et de poètes comme Fichte, Arndt, Uhland, avaient donné à la crise héroïque que venait de traverser l’Allemagne un caractère à part, et en avaient fait une des plus grandes victoires que toutes les forces morales de l’humanité liguées entre elles aient jamais remportées.

La France de son côté était merveilleusement préparée pour recevoir une infusion d’esprit nouveau. Il semble que la race gauloise ait besoin, pour produire tout ce qui est en elle, d’être de temps en temps fécondée par la race germanique : les plus belles manifestations de la nature humaine sont sorties de ce commerce réciproque, qui est, selon moi, le principe de la civilisation moderne, la cause de sa supériorité et la meilleure garantie de sa durée. Les premières années de la restauration furent un de ces momens décisifs, où, par des voies imperceptibles, s’introduit un ordre nouveau d’idées et de sentimens. Un mur tomba, les horizons s’élargirent ; la France ouvrit l’oreille à des bruits ignorés jusque-là. L’inoculation d’un esprit nouveau se fait d’ordinaire par une sorte d’opération instantanée, comme si un principe mystérieux pénétrait à un moment donné tout le tempérament moral d’un individu ou d’un peuple, et le changeait jusque dans ses plus intimes profondeurs. Un mot, une page recèlent alors une révolution intellectuelle et les esprits, aspirant le souffle d’un monde inconnu, ressemblent à ces êtres aériens des fables antiques que le vent seul faisait concevoir.

La sécheresse, le formalisme, la petitesse d’esprit n’ont jamais été, dans les temps modernes, portés plus loin qu’en France à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci. Enfermée dans un cadre officiel d’où on lui défendait de sortir, la pensée s’était en quelque sorte atrophiée et réduite à un chétif exercice d’école : les traditions savantes étaient détruites, excepté dans les sciences physiques et mathématiques, qui n’exigent de ceux qui les cultivent ni élévation de caractère, ni indépendance ; la philosophie était abaissée, la poésie réduite à des amplifications de rhétorique ou à de fades déclamations. Mais dans un pays doué d’aussi inépuisables ressources que la France il ne faut jamais désespérer. Quelques mois amenèrent un réveil inouï. La liberté suffit pour opérer ce