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plet avait-il pu être atteint ? C’est que l’idée de Maury répondait à un besoin universellement senti par les marins. On comprenait que si la navigation était arrivée à un haut point de perfection, on était loin de l’utiliser de la manière la plus avantageuse, et l’on comprenait aussi que le temps est un élément commercial aussi positif, aussi tangible, aussi matériel que le prix d’une cargaison. On appréciait d’autant plus vivement ces considérations, que la marine à vapeur, atteignant des traversées de plus en plus longues, introduisait de nouveaux élémens dans la question, et stimulait par une active rivalité l’indolence hors de saison dans laquelle se complaisait depuis trop longtemps la marine à voiles. Certes il ne venait à l’idée de personne d’abandonner cette antique dominatrice de l’Océan ; nul esprit sensé n’eût pu songer à substituer un agent coûteux et exceptionnel au moteur le plus économique et le plus libéralement mis à nos ordres par la nature, et le problème était assez nettement posé pour qu’on y vît deux solutions distinctes, se manifestant par les perfectionnemens indépendans de la voile et de la vapeur. C’est là ce que comprit Maury, et c’est ce qu’il put faire comprendre aux marins de toutes les nations, parce que tous sentaient la nécessité de mettre la navigation à voiles à la hauteur du siècle, en lui faisant produire son maximum d’utilisation.

Il serait injuste de ne pas mentionner ici le concours large et éclairé que Maury a rencontré chez son gouvernement, à partir du moment où l’entreprise revêtit un caractère officiel. Non-seulement le livre des Sailing Directions et l’atlas des Wind and Current Charts furent édités aux frais du gouvernement de l’Union avec un véritable luxe, mais de plus tous les marins américains qui s’enrôlaient parmi les coopérateurs de l’œuvre recevaient en échange ces publications à titre gratuit. Plus tard, cette mesure, déjà si libérale, fut en quelque sorte rendue universelle, et toutes les nations civilisées furent invitées à participer à ces avantages. Enfin chaque année, par une décision du congrès, trois navires durent être armés avec la mission toute spéciale de se consacrer aux recherches que nécessitait la construction des cartes de Maury, et certes c’est là une mesure qui mérite d’être particulièrement signalée, aujourd’hui que les expéditions purement scientifiques deviennent relativement si rares chez les autres nations. En somme, par un ensemble d’actes aussi bien entendus, le gouvernement des États-Unis montrait qu’il savait dignement comprendre la gloire que devait faire rejaillir une œuvre aussi grandiose et aussi féconde sur le pays qui lui avait donné naissance.

Nous nous sommes plu à signaler cette action du gouvernement de Washington, nous avons également fait ressortir le concours que