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Ils étaient fiers de leurs institutions. Ils l’ont souvent prouvé, notamment dans une circonstance solennelle. C’était en 1774 ; les colonies anglaises allaient rompre avec la métropole ; elles tenaient les fameuses conférences de Lancastre. Canassatego, un sachem des Iroquois, fort considéré des députés de la Pensylvanie, était admis à ces délibérations. Voyant la vivacité des débats, il en fut alarmé et dit aux députés : « Les fondateurs de notre république ont montré beaucoup de sagesse en établissant le bon accord entre nos tribus. C’est cette union qui nous a rendus si longtemps formidables. Vous aussi, vous serez puissans si vous restez étroitement unis : voilà pourquoi je vous conseille, quoi qu’il arrive, de ne pas vous séparer les uns des autres. »

Les chefs des Iroquois sont de deux ordres : les uns s’appellent sachems, c’est-à-dire sages vieillards, et s’occupent des affaires civiles ; les autres portent le nom de capitaines, et conduisent les guerriers. Les uns et les autres sont plus pauvres que les gens du peuple, car ils se font un point d’honneur de répandre en libéralités les présens qu’ils reçoivent des tribus voisines et le butin qu’ils enlèvent aux ennemis. Toute action entachée de cupidité entraîne leur déchéance, leur autorité n’étant fondée que sur l’estime publique.

Les Iroquois pratiquaient un usage qui fut une des causes de l’agrandissement de Rome : ils tâchaient d’incorporer à leur république les nations soumises. Après la victoire, ils satisfaisaient leurs passions vindicatives en immolant quelques-uns de leurs prisonniers, mais ils pardonnaient aux autres et les adoptaient. Si ces nouveaux citoyens se conduisaient bien, ils étaient aussi estimés que les anciens, et l’on en cite qui sont devenus des capitaines et des sachems renommés. C’est ainsi que la tribu des Tuscaroras et celle des Cowetas se sont réunies à la confédération. Les cinq nations n’admettaient aucune espèce d’esclavage. Un jour un Anglais s’évada de la prison d’Albany, où il était retenu pour dettes. Les Iroquois l’accueillirent et le protégèrent contre les poursuites du shérif et des officiers de justice. Comme le commandant militaire d’Albany s’en formalisait, le conseil du canton se réunit, et décida qu’on paierait les dettes du réfugié et qu’on lui donnerait des terres à cultiver. Cet Anglais vécut paisiblement dans ce domaine généreusement octroyé.

Ce qui prouve le mieux l’instinct démocratique des Iroquois, ce sont leurs jalouses précautions pour prévenir l’établissement d’une dynastie. Les deux dignités de sachem et de capitaine ne se transmettent jamais aux fils de ceux qui en ont été revêtus. L’hérédité se conserve néanmoins, mais par la ligne collatérale. Si le chef a une sœur née après lui du même père, et que cette sœur se marie, c’est le premier fils issu de ce mariage qui est destiné au commandement. La succession se fait de l’oncle au neveu par l’intermédiaire d’une sœur. Ce neveu est l’héritier présomptif, mais il faut de plus qu’il soit installé avec l’approbation publique du clan, et que ceux qui doivent lui obéir aient commencé par l’investir. On a voulu à la fois emprunter à l’hérédité la garantie d’ordre public qu’elle renferme et en retrancher ce qui élève une famille au-dessus, des autres. On pourrait voir encore dans cette institution une tendance à relever la condition des femmes, à leur attribuer