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aujourd’hui ces contrées ? Ou plutôt les anciens habitans auraient-ils été dépossédés par des hordes plus sauvages venues du nord ? Seraient-ils allés s’établir eux-mêmes dans les contrées plus méridionales du même continent ? J’avoue que cette dernière conjecture me semble la plus vraisemblable. Nous savons déjà que les tribus des États-Unis partirent, vers le XIe siècle, des steppes glacés de la Sibérie. N’est-il pas possible que, dans les longs siècles qui ont précédé ce déplacement, d’autres populations se soient déjà frayé les mêmes routes, qu’elles se soient établies dans cette riche vallée du Mississipi, qu’elles y aient construit ces ouvrages que nous avons vus, et qu’ensuite elles aient été refoulées vers le midi ? L’Amérique est occupée par tant de peuples différens, qu’en admettant même qu’ils appartiennent tous à la même race, on ne peut guère supposer que leurs ancêtres y soient arrivés en même temps. Espérons qu’à force d’investigations, on achèvera de découvrir les origines de ces antiques populations.

Les Indiens qui leur ont succédé n’ont pas su s’instruire par la vue des ruines qu’ils rencontraient ; de même le voisinage des Européens, leur domination et leur secours n’ont pu modifier leurs mœurs. De là s’est formée cette opinion que la race indienne est par sa nature incapable de se civiliser, qu’elle porte dans son sang l’instinct irrésistible de la chasse et du vagabondage, et que c’est en vain qu’on tente de l’assujettir aux pratiques laborieuses et prévoyantes de l’agriculture. Cette prévention est malheureusement très répandue en Amérique. Un magistrat a pu récemment, dans la cour suprême de Washington, prononcer, sans être contredit, cette parole : « C’est une race condamnée sans appel. » Ce qu’il y a de plus déplorable dans cet anathème, c’est qu’il tend à paralyser tous les efforts qu’on a faits jusqu’ici pour ramener ces peuples dans le chemin de la civilisation. Il décourage les instituteurs et les missionnaires ; le gouvernement de l’Union est lui-même accusé d’avoir entrepris une œuvre impossible et de dépenser les trésors de l’état en pure perte.

La race rouge n’est pourtant pas condamnée sans appel ni surtout sans exception. Ce qui le prouve, c’est que déjà plusieurs tribus, secouant leurs habitudes séculaires, ont cessé de poursuivre les bêtes sauvages pour s’adonner aux paisibles travaux de l’agriculture. C’est chez les Iroquois surtout qu’on peut constater cet adoucissement de mœurs. Une de leurs tribus cultive 12,640 hectares de terre, et emploie pour cet usage 2,080 bœufs et 1,902 chevaux. Dans cette population d’environ 6,000 âmes, on compte 841 personnes qui fréquentent les écoles. Cinq ou six autres tribus voisines sont entrées aussi dans la voie des réformes. Le temps n’est pas éloigné peut-être où nous les verrons assez policées pour prendre place parmi les états de l’Union, et jouir des droits politiques et des avantages attachés à ce titre.

Les Apallachians et ceux qui habitent le plus près des bouches du Mississipi ne donnent pas encore de telles espérances ; cependant ils ont renoncé aux incursions violentes contre leurs voisins et aux courses vagabondes de la chasse. Ils élèvent des chevaux et d’autres animaux domestiques. La conjecture la plus favorable qu’on puisse former sur leur avenir, c’est qu’ils sont dans un état de transition, et qu’en passant par l’intermédiaire de la vie pastorale, ils se préparent aux habitudes mieux réglées et plus fructueuses