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de la culture des terres. Malheureusement on ne peut pas porter le même pronostic sur les habitans des Montagnes-Rocheuses. Ils sont si féroces que les troupes armées elles-mêmes ont à souffrir de leurs insultes. Tout récemment encore, pendant le mois de janvier 1856, le lieutenant-colonel Kelly, explorant le cours de la rivière Walla-Walla à la tête de plusieurs compagnies de son régiment, se vit assailli par plus de six cents de ces Indiens farouches. Dans les attaques acharnées qu’ils lui livrèrent pendant deux jours, il vit tomber autour de lui une grande partie de ses soldats. Telle était la furie des assaillans qu’ils se ruaient tête baissée sur les bataillons carrés, et que nombre d’entre eux périrent frappés par les baïonnettes, ou par les balles tirées à bout portant ; d’autres furent faits prisonniers, mais ils se débattirent avec une telle rage qu’on fut obligé de les tuer. Le combat recommença le troisième jour, et si le colonel Kelly n’avait reçu des secours du fort Henriette, il eût péri avec tous les hommes qu’il commandait.

Il faut conclure de ces faits, ou qu’il est impossible de civiliser ces Indiens de l’Orégon, ou qu’on s’y est mal pris jusqu’à ce jour. Or peut-on douter qu’ils n’aient été mal initiés à notre civilisation, quand on les voit montrer autant d’avidité pour ce qu’elle a de pernicieux que de répugnance pour ce qu’elle a d’utile et de moral ? Ils repoussent nos arts, mais ils se sont imbus de nos vices. Cette corruption leur a été inoculée de plus d’une manière, directement d’abord par des hommes qui, après avoir perdu leurs biens et leur honneur dans nos sociétés, sont allés cacher leur opprobre au milieu de ces tribus. Le nombre de ces transfuges est plus grand qu’on ne le croit. Plusieurs membres de la commission d’enquête ont dénoncé au congrès américain cette cause de corruption ; ils s’élèvent aussi avec vivacité contre les spéculateurs qui dépravent ces tribus par intérêt. Connaissant leur passion irrésistible pour les liqueurs fortes, ils leur font dépenser en un moment pour acheter ces poisons funestes, les petites sommes qui devraient les soutenir pendant plusieurs saisons. De là résultent pour ces malheureux une ivresse de quelques jours avec les désordres qui en sont les suites, et en second lieu la privation de toute ressource pendant la plus grande partie de l’année.

D’après une statistique faite en 1836, 51,317 individus de la race rouge avaient opéré leur passage à l’ouest du Mississipi ; 36,950 s’étaient engagés, par des traités de courte échéance, à suivre ce mouvement ; il n’en restait que 12,415 qui n’avaient pas encore contracté l’engagement formel de quitter la rive gauche du fleuve. Depuis 1836, presque tout ce qui restait à faire s’est accompli, et le plan érigé en loi sous la présidence de Monroë est bien près d’être entièrement exécuté. Que ce déplacement d’une centaine de mille individus à demi sauvages ait donné lieu d’un côté à des surprises et à des souffrances, de l’autre à certains abus, ces irrégularités étaient inévitables ; mais que le gouvernement de l’Union se soit conduit avec toute la bonne foi et toute la générosité possibles, c’est ce que l’on peut affirmer dès aujourd’hui, c’est ce qui deviendra évident lorsque la collection des actes administratifs sera publiée tout entière.

La somme des achats de terrains conclus avant 1840 s’élevait à 460,700,000 fr. Le relevé de ceux qui ont été faits depuis cette époque n’est pas encore